Ce pourrait être un sujet du bac: peut-on vivre sans passions? Je me pose la question parce que, revenant de Camargue, je surprends parfois les regards ironiques de mes collègues: comment peut-on se passionner pour ces petits oiseaux? Et pas n'importe lesquels: les oiseaux de marais uniquement. Une passion que je pense tenir de mes ancêtres; les plus lointains chassaient l'auroch, les plus récents tiraient les bécassines! Mais je me suis moi-même surpris à jeter le même regard ironique sur un philatéliste. Ces petits carrés dentelés, une passion? Allons, soyons sérieux!
... Et si nous regardions la passion de l'intérieur, en nous mettant à la place du passionné? Alors là, tout change. Tout y passe: la tension de la recherche , l'émotion de la trouvaille, l'envie de chercher encore. C'est l'homme tout entier qui est secoué, transporté; au risque de l'emphase, je dirais: transfiguré. Alors c'est beau, quelle que soit la passion.
Des gens blasés, c'est triste. J'ai eu à faire autrefois à des scouts voyageant au Cameroun. Rien ne semblait les étonner, les toucher, les émerveiller... Overdose d'infos? Suffisance? Je l'ignore. Mais des jeunes qui ne sav
ent plus s'émerveiller, c'est triste.
Est-ce la beauté qui suscite la passion? Oui, toujours, à condition de voir de l'intérieur. On comprend la joie des archéologues remontant une tête de César de la vase du Rhône; on admet une passion pour la grâce extra- ordinaire des oiseaux d'eau. Mais pour le philatéliste aussi, rien de plus beau que ce timbre indonésien, ou colombien.
Entre nous, en essayant de regarder Dieu de l'intérieur, j'arrive - un peu - à imaginer sa passion pour nous autres humains.
