dimanche 20 novembre 2022

A quelque chose malheur est bon

 

             Oui, les scandales qui secouent l’Eglise ont ceci de bon : tout le monde se dit : « Alors, qu’est-ce qu’on fait ? » Ou bien on quitte le bateau avant qu’il ne coule, ou bien on appelle à  une réforme en profondeur.   

            Cette réforme est plus ou moins entre les mains de nous tous, mais elle ne nous lance pas dans les nuages. Tout le monde sait que l’Eglise est une chose sainte, mais qu’elle est entre les mains d’hommes pécheurs, avec lesquels l’Esprit Saint a fort à faire. C’est come ça depuis St Pierre ! Donc, la seule attitude vraiment responsable est de faire avec, en travaillant pour que ça change,  pour que l’Eglise soit moins boiteuse. On va y travailler bravement, dans la clarté.

            Un constat : ces histoires de mœurs contribuent à faire descendre le prêtre – et l’évêque – de leur piédestal, de leur sacré. Cela leur fera le plus grand bien de rejoindre le peloton de ceux eu celles qui peinent dans la plaine, avec leurs problèmes d’argent, de famille… et avec leurs défauts !   A quoi cela sert-il de se crisper sur l’identité du prêtre ? Les chutes n’en seront plus que retentissantes !

            Voilà en négatif une première réflexion. Une autre, plus positive peut-être, serait de prendre à bras le corps le problème du statut du prêtre. D’abord, la formation des jeunes. Il semble que bien des séminaires (pas tous) contribuent à former des êtres à part, aseptisés, sacrés. Souhaitons fortement que les jeunes prêtres ne soient pas seulement sympas et sportifs, mais qu’ils soient aussi ouverts et audacieux, moins liturges et plus inventifs, moins hommes d’appareil et plus autonomes, prêts à retrouver les intuitions du Concile Vatican 2 sur l’Eglise servante et pauvre.

            Autre chose. Il faudra bien poser,  et on le souhaite au plus haut niveau, encore et toujours, la question que tant de chrétiens se posent : celle du célibat du prêtre et celle de l’ordination des femmes comme diaconesses ou prêtres.   Sortir de la mentalité « coutume immémoriale » pour penser l’Eglise du 21èmesiècle. Bien sûr cela ne résoudra pas tout, et il y aura encore d’autres scandales, il y en a eu depuis le début de l’Eglise. Mais un jour ou l’autre il faudra faire sauter les verrous qui, à la longue, finissent par devenir d’une bêtise inconcevable. L’Eglise n’est pas « du monde » disons-nous ? Mais, entre autres, pourquoi ne regarde-t-elle pas un peu plus la place des femmes dans le monde d’aujourd’hui, en politique, dans les affaires, voire dans les autres confessions chrétiennes ??? Sur ce chapitre, « le monde » aurait bien des choses à apprendre à l’Eglise, ne lui en déplaise !

            Des voix de plus en plus nombreuses se joignent à ceux qui crient « Faut que ça change ! »... Ce que je dis là n’est pas bien construit, n’est pas bien pensé. Mais ce ne veut être qu’un cri ; dans certaines circonstances, un cri vaut mieux que mille discours. Quand la maison brûle, on ne va pas s’asseoir pour discuter pourquoi et comment le feu a démarré.

            Si d’autres pensent comme moi, on ne sera jamais de trop pour enfoncer ensemble le même clou !

jeudi 17 novembre 2022

1. Il y a des mots précieux.

 Nous commencons aujourd'hui ,une nouvelle série de réflexions sur "la liberté". Réflexions que vous pouvez retrouver dans un petit livre récent que je viens de publier :"Les choses de la vie" (me le demander). Toujours dans l'idée que les plus petites choses de notre vie, ont toutes un parfum d'éternité.


            Il y a des mots précieux, qui disent les trésors que nous portons. Parmi ces mots, il y en a un si fort, si beau, si vrai, que nous ne nous lassons pas d’en parler : la liberté.

            Quand on parle de liberté à un français, il pense tout de suite : Révolution, Libération. Ce sont des mots qui nous font vivre encore aujourd’hui… Mais on a un peu tendance à mettre la liberté à toutes les sauces !!! En mai 68, on entendait : « Il est interdit d’interdire ! » C’est un peu bébête, car en clair cela veut dire que chacun est libre de faire ce qu’il veut. C’est très bien, mais alors toute vie en société devient impossible, car – rappelons-le – ma liberté s’arrête là où commence celle des autres.

            Disons-le crûment : pour parler bien de la liberté, il faut en avoir été privé. Privé pas pour huit jours, mais pour des tranches de vie que l’on ne retrouvera plus : dix ans et plus. Quand on lit « L’archipel du goulag » de Soljenitsyne, on comprend ce que peut être une vie d’esclave. Nous autres occidentaux, nous ne savons plus ce que signifie être enfermés, la peur au ventre, être torturés sur fond de désespoir, des années durant.  Des gens arrachés à leur maison, comme ça, sans motif clair, et condamnés à 10 ans, 15 ans. Quand ils en sortaient, on les rejugeait, et va pour 10 ans de plus…  J’étais à Prague en 1987 ; juste avant la « Révolution de velours ». Passant devant une caserne russe, j’ai ramassé un petit pavé et, héroïquement,  j’ai écrit dessus « svoboda », liberté… Je n’ai eu droit qu’au sourire bonasse de la sentinelle. Mais les tchèques, à voix basse,  parlaient de la France comme d’une sorte de paradis, et le Printemps de Prague comme d’une espérance perdue. Le phare des jeunes, c’était Taizé.

            Nous allons essayer de creuser encore ce que veut dire liberté. Car cela va profond, plus profond qu’une devise sur le fronton d’une mairie. Si la liberté nous tient tellement à cœur, c’est qu’elle atteint le cœur de notre vie, l’intérieur de chacun. Cela va plus loin que les pavés de mai 68 ! Au vrai, c’est notre dignité d’homme qui est en jeu. Aucun enfant de Dieu ne peut vivre sans liberté. Une personne qui, telle Angéla Merkel, a vécu 30 ans dans un pays privé de liberté, sait d’expérience que la liberté est un trésor. D’où ses réactions face à la Chine, aux populismes.

            Sans aller si loin,  disons qu’aujourd’hui encore, on peut devenir esclave – en langage moderne : accro à la société de consommation !  La boulimie peut devenir un fer aux pieds,  et l’argent facile.

            Une image qui  ne cesse de m’habiter : les chevaux de Camargue. Tous ces Crins Blancs, crinière au vent, galopant dans le petit matin, à la fois puissants et légers : une merveille ! Ils ne sont attachés à rien, ne doivent rien à personne. On dirait qu’ils sont là pour faire vivre le paysage. Ces chevaux sont pour moi un symbole de liberté. Si aujourd’hui nous redécouvrons la vie sauvage, n’est-ce pas aussi un rêve de liberté que nous poursuivons ?


samedi 8 octobre 2022

Plaidoyer

 

             Je reviens d’une exposition des œuvres de Branksi à la cité des Arts de rue, de Marseille. On y fait bonne place à l’imagination et à l’inédit, au gentiment farfelu. Le tout sur fond d’humour, un humour fort contestataire. Cela ne manque pas de plaire à nous français, à nos tripes voltairiennes et toujours un peu soixante-huitardes.

            J’ai découvert avec bonheur que les artistes anglais ne sont pas en reste dans la contestation. Ils vont jusqu’à donner une face de chimpanzé à la Queen, à emmener la Joconde dans un caddy, d’équiper ladite Joconde d’un bazooka. C’est sympa !.. Une des œuvres-phare de l'exposition est un black-block, casquette à l’envers et cagoule de rigueur ; mais là nous touchons à la poésie, car au lieu d’un pavé, le garçon s’apprête à lancer … un bouquet de fleurs.

            On fait les yeux ronds, on rit, on entre dans le jeu… Une seule chose me chiffonne, c’est le sort que l’artiste fait à la police, souvent représentée sous un jour assez méchant. Les policiers sont bien sûr dramatiquement bardés de cuir et de boucliers, menaçants, ressemblant davantage aux milices iraniennes  qu’aux braves bobbies londoniens .

            Je trouve que caricaturer la police est un sport facile. On est sûr des applaudissements des casseurs et autres dealers qui rêvent d’un monde où les flics resteraient assis à prendre des photos alors qu’on casse les vitrines…  On éveille ainsi le soupçon du brave citoyen, toujours prêt à se mettre du côté du plus faible.

            Il est facile de contester la police mais dites-moi : si vous étiez dans une manif, préféreriez-vous avoir affaire à la milice privée Wagner ou aux gros-bras du Burkina-Faso ou de la RCA ? Pas à dire, je me prends à admirer le calme et la retenue de la plupart des agents, et surtout leur sens du service. Pour tout dire, ils m’aident à comprendre ce que veut dire « service public ».     Foin de la contestation facile, analysons bien ce que veut dire « forces de l’ordre » ; alors peut-être, peut-être serons-nous un peu plus indulgents et objectifs.

lundi 3 octobre 2022

Colère

 

             Colère, c’est un mot à la mode ! Si une manif ne montre pas de colère, ce n’est pas une vraie !

            Je ne veux pas entrer dans cette banalité, pourtant je me sens vraiment en  colère après cette émission sur les tableaux célèbres  (Arte, dimanche 2/10 à 17h45). Alors là : colère et scandale, enfer et putréfaction, tout ce que vous voudrez !

            Que l’on parle d’expertise de tableaux avec toute une panoplie d’appareils et de doctes spécialistes, passe encore ; mais qu’ensuite on nous raconte les mésaventures d’un commissaire priseur qui trouve qu’un tableau à 85 millions de dollars, ce n’est pas cher vendu, on va où là ? On se moque de qui ?

            Il est fort possible que l’acheteur éventuel soit un mécène et qu’il vole au secours des petits somaliens qui ont faim. Ce qui reste à prouver d’ailleurs. Mais le scandale n’est pas là. Il est dans le fait qu’on s’empare du sujet pour en faire une émission télévisée, qu’on étale ces sommes faramineuses à l’instar du cachet des grands joueurs de foot, alors que des gens risquent leur peau pour apporter de quoi manger aux enfants du Yémen ou du Burkina-Faso… Voilà la colère : on révèle complaisamment des sommes stratosphériques au nez et à la barbe des pauvres, et ça pour un petit tableau qui a de fortes chances d’aller dormir dans un coffre-fort à cause de sa valeur.

        Depuis 50 ans, le monde a fait de vraiment grands progrès dans l’aide aux pauvres de la planète. Qu’une famine   pointe son nez terrible dans un coin de l’hémisphère sud, et tout en mouvement de solidarité se dessine ; que des migrants se noient en Méditerranée et c’est l’émotion générale. Alors, s’il vous plaît, regardons en aval et faisons campagne, soit pour cacher le prix des tableaux (ce qui est assez hypocrite !), soit pour « rendre » aux pauvres – je dis bien « rendre » - l’argent de la vente.

            Croyants ou pas, nous pouvons faire écho à ce sacré vieux Job sur son fumier :

«
 La Sagesse où la trouver ? On ne peut l’échanger contre de l’or massif. »

                                                                                              Job 28/12

jeudi 29 septembre 2022

7. Dans l’Evangile, on marche en grognant.

 



            Il faut se rendre à l’évidence : dans les évangiles on raconte comment les apôtres ont tout laissé pour suivre Jésus. C’est bien, mais pourquoi l’ont-ils suivi ? Ont-ils été attirés par une force mystérieuse comme l’aimant attire la limaille de fer ? Pourtant, quand on lit entre les lignes, on peut soupçonner que le démarrage a parfois été pénible !

            Pour certains, ils ont suivi sans discuter, ou presque : ainsi   Pierre, Jacques et Jean qui semblent avoir emboîté le pas sans problèmes. Mais pour d’autres ? Depuis Natanaël grognant que « de Nazareth rien ne peut sortir de bon », jusqu’à Matthieu qui, d’après le tableau du Caravage, n’en croit pas ses oreilles quand Jésus l’appelle ?

            Il y a mieux : l’évangile nous dit que les Douze ont suivi Jésus. Mais qu’avaient-ils en tête ? Pourquoi Jésus les a-t-il fait marcher ? En courant les routes de Galilée, ces garçons se sont posé la question : on marche oui, mais vers où ???

            Et cela les a travaillés pendant trois ans. Ils l’ont traînée, cette question, ont cherché des réponses… La foi en Jésus c’est bien, mais avec ça on va où ? Au début,  ils ont tenté de donner une réponse bien précise, à leur portée : « On va remettre sur pieds le royaume d’Israël. On sera tous ministres dans le Royaume ! »  Rien que ça ! 

            Alors, patiemment, amoureusement, Jésus lui-même les amène à comprendre : on marche vers une lumière, vers un Royaume qui n’est pas de ce monde, mais que vous ne pouvez pas imaginer tellement ce sera beau.

            Les apôtres comprennent peut-être... Mais tout de même, on va dans le mur ! Notre marche  finit par un mur ! Pourquoi la Croix ? Pourquoi cet échec terrible ? Il a fallu la Résurrection pour qu’ils comprennent que leur marche avec Jésus doit passer par la croix  et par la mort pour arriver à la lumière. Chacun comprendra… Il comprendra : pas seulement avec sa tête, mais avec son cœur, qu’on ne peut atteindre le Royaume qu’en prenant sa croix. C’est comme ça et pas autrement ! Alors, bravement, ils sont allés jusqu’au martyre.  

            Voilà un itinéraire peu banal ! Et pourtant, c’est la marche que tout chrétien est appelé à entreprendre. Rien à faire : on n’arrive pas au Royaume dans un fauteuil. Comme dit le pape : « Il faut retrousser ses manches ! » A l’inverse de la publicité qui nous serine : « De plus en plus facile ! De plus en plus rapide ! » Non, quand on choisit   de suivre Jésus,   on ne choisit ni sa croix, ni sa mort, ça arrive tout seul. La foi va jusque là.

            Alors, en grognant, on se lève et on marche.

 

mercredi 24 août 2022

Blessures d’amour

 


            Je connais quelqu’un qui, depuis qu'il est petit, rêve de devenir juge pour enfants. C’est peu banal ! J’imagine, mais j’imagine seulement – car je ne connais rien du métier et assez peu de la personne – qu’il y a là, entre autres,  un désir profond d’aider les gens à cicatriser les blessures d’amour qu’ils ont reçu dans leur jeunesse.  Il y a des enfants malaimés peut-être de leur mère, ignorés ou brutalisés par leur père ; j’imagine que ces enfants sont prêts à faire n’importe quoi pour clamer à la face du monde : « Qui veut m’aimer ? »… Ils le crient à leur façon, et il s’agit d’entendre ce cri, de l’interpréter, et si possible d’aider à cicatriser ces blessures. Mais la blessure d’amour est une des plus difficiles à guérir.

            Un enfant « placé » est parfois compliqué. L’art pour le tuteur et la tutrice (car ce sont souvent des ménages), sera de trouver où  se cache la blessure du petit. Pas facile ! Cela demande des trésors de patience, de délicatesse, d’amour en un mot.

            Ceci pour les enfants. Mais peut-on, à 88 ans, recevoir une blessure d’amour ? Sans vouloir verser dans le gnangnan, je crois que c’est ce qui m’arrive. Voyez plutôt : je suis parfois sidéré par l’absence de Dieu dans notre société française. Dieu ? Au musée ! Je  dis absence, pas hostilité. Dans un sens c’est pire : une maman qui gronde est plus supportable qu’une mère absente, surtout psychologiquement. Pour Dieu, on n’est pas contre, mais on s’en contrefout, ce n’est pas Lui qui va faire bouillir la marmite ! Alors pas de place pour Lui à la maison, même pas, surtout pas, un crucifix au mur.

            L’Amour n’est pas aimé. La source de tout amour est ignorée, alors qu’on vit d’amour, tous les jours. Il y a de quoi être blessé, navré, furieux. L’Amour est relégué au rang des catégories inutiles. Il ne sert à rien… Mais comment voulez-vous que l’amour serve à quelque chose ? Il est l’amour, c’est tout. Et c’est là la seule définition de Dieu. Trouvez-en une autre, vous irez dans le mur.

            En tous cas, je ne demande pas à être guéri, mais à être compris. Si vous pensez que les blessures d’amour existent, voilà la mienne !

lundi 11 juillet 2022

Des questions à l’Eglise

 



            Je ne suis qu’un piéton dans l’Eglise, mais après 62 ans de vie missionnaire, je pense que je peux parler « un peu un peu » comme on dit au Cameroun. Certains y verront impatience et acrimonie, et ils auront raison. Mais on a beau penser tout bas, mieux vaut le dire tout haut. C’est un signe de santé !

            Quand l’Eglise acceptera-t-elle de faire la vérité sur elle-même ? Quand se décidera-t-elle à engager les réformes de fond, signalées entre autres par les réponses multiples et quasi-unanimes lors du Synode au niveau diocésain ? Il y a une telle convergence dans les murmures des catholiques que cela en devient un grondement. Ce grondement va-t-il être entendu « en haut lieu » ?

            Autrement dit, deviennent urgentes des réformes radicales telles que l’accès des femmes à l’ordination et leur statut dans l’Eglise, la fin d’une tradition qui fait du prêtre un homme sacré, à part, souverain dans sa paroisse, l’apprentissage de l’humilité qui aidera l’Eglise à ne plus légiférer pour tous ? Et j’en passe !

            On sent que le pape François voudrait faire avancer  les choses, témoin sa récente décision d’appeler des femmes à participer au bureau responsable de la nomination des évêques. Mais il est bridé, vilipendé, contré par des artistes du rétropédalage ! Où sont-ils, ces artistes?  Suivez mon regard, mais pas seulement à Rome ! Que le pape ne soit pas un souverain absolu, qu’il tienne compte des avis différends, d’accord ; mais grand Dieu, qu’on l’aide à ouvrir les fenêtres qui permettront à l’Eglise de se mettre au diapason du monde, de ce monde qui n’est pas le diable, qui n’a pas attendu l’Eglise pour réfléchir, et où tant de gens aspirent à vivre l’Evangile.

            Que l’on se rende compte que les JMJ et autres pèlerinages de masse  sont de bonnes occasions de montrer au monde que les catholiques existent, mais ce ne sont que des emplâtres sur une jambe de bois, des arbres qui cachent la forêt. Ce n’est pas la conquête du monde qui sauvera l’Eglise, mais d’abord un regard sans concession sur elle-même et le courage de changer. L’Esprit veut agir, qui l’en empêchera ?

            On est en droit de rêver…

dimanche 26 juin 2022

en 2022, l‘homme qui marche, c’est le migrant

 

    
Ceux-là sont partis. Certains ont fui les bombes qui veulent leur voler la liberté. D’autres ont passé deux, trois ans sur la route. Ils ont passé le désert en marchant. Parfois ils ont couru, couru pour échapper à l’horreur. Souvent ils se sont cachés comme des bêtes traquées. D’autres fois, ils ont rêvé d’Europe, dans leurs rêves ou derrière un grillage : ce sont les réfugiés. A Lampedusa, deux mondes se côtoient : les touristes et les immigrés. Mais ceux-ci ne sont pas là pour le fun !

            Ce sont des marcheurs forcés… Rares ceux qui sont partis de leur plein gré ; ils ont été poussés, ou chassés par la guerre, la faim, le manque d’avenir. Parce que, comme tous les hommes, comme chacun de nous, ils cherchent un petit bonheur comme la primevère cherche le soleil. Un coin, rien qu’un tout petit coin où ils puissent trouver un peu de chaleur humaine, un peu d’amitié qui, peut-être, mettra fin à leur longue marche…. vers la liberté.

        Je n’essaie pas de faire du vibrato pour forcer votre pitié! Mais ces migrants-marcheurs, qui s’imposent de plus en plus à notre conscience, sont aussi pour nous des symboles : personne ne quitte sa patrie de gaieté de cœur. Un kosovar disait : « Personne ne quitte son pays pour aller voir le pays d’un autre ! Seuls la souffrance, le malheur et la guerre l’y obligent. » Ceux-là n’ont pas voulu marcher, mais ils sont poussé par l’espérance. Un chant dit : « Si l’espérance t’a fait marcher plus loin que ta peur ! »

            Voilà, tout est dit : le réfugié est pour nous à la fois symbole de malheur, et symbole d’espérance… Dès lors, pour le croyant, le migrant est un rappel , violent parfois, envahissant, débarquant sans crier gare dans la modernité, débarquant comme des oiseaux venus de nulle part et qui envahissent nos jardins, tels ces geais qui arrivent par vagues, épuisés, en septembre.

            Mais le migrant nous rappelle aussi que, nous aussi, nous sommes quelque part des migrants ! Nous ne sommes pas là pour de bon, pas sûrs du lendemain, voués à la mort…. Alors pourquoi ne pas commencer un voyage intérieur à la suite du Christ dès maintenant ? Car ce voyage-là est la réalité de notre vie. Nous les croyants, nous sommes les gens de l’ailleurs, du pas fini, du déménagement.

            C’est dur ce que je dis là. Je risque de me faire traiter d’empêcheur de danser, d’être moqué par les adeptes du « Tout, tout de suite ». Pourtant, comme le migrant qui marche, toi le croyant tu es le porteur d’une espérance un peu folle, celle de rejoindre un monde où il n’y a que l’amour.

            Pour y arriver, à ce monde, commence ton voyage intérieur dès maintenant. Tout de suite. Peu importe ton âge, il n’y a pas d’âge pour se lever et marcher vers le Royaume.

samedi 28 mai 2022

Quand on marche, on rencontre

 

             C’est une expérience, à la fois banale et merveilleuse, que tu fais quand tu marches. Tu ne marches pas dans le désert. D’ailleurs, même dans le désert, tu fais des rencontres !

            Il y a des gens dont les finances sont sans doute assez solides, et qui passent un an, voire deux, à marcher. Tout le monde a lu Afrika Trek, où la famille Poussin n’en finit pas raconter ses mille et une rencontres sur son parcours de 14000kms.

            Les rencontres ne nous laissent pas intact. … On croise des gens assis, d’autres qui marchent. J’ai de grands souvenirs de mes traversées de villages en Afrique. Car en montagne,  tu es obligé de marcher comme tout le monde ! D’ailleurs, l’Afrique de la savane  est le pays où tout le monde marche : les gamins font des kilomètres pour aller à l’école, les malades pour aller au dispensaire, les hommes et les femmes pour ne pas rater le marché à 15kms. Longuement, joyeusement, on marche. Mais pour moi, ce furent des rencontres de communion. Communion avec le village qui s’éveille, avec les gens qui partent aux champs la houe sur l’épaule, avec le jeune homme qui court après sa femme qui l’a quitté dans la nuit, avec les petits vieux qui, dès que possible, prennent le soleil sur leur rocher. Et toi tu t’arrêtes un moment, un mot à droite, un sourire à gauche, une blague pour chacun, et tu passes, heureux.

            Il y a aussi ceux qui marchent avec toi. Et c’est encore une communion ! On parle peu, mais on est ensemble à traverser des merveilles, à rire et parfois à se faire des confidences. Marcher ensemble, c’est une lenteur partagée. Je trouve cela magnifique qu’au temps du TGV, de plus en plus de gens redécouvrent les vertus de la marche ! On retrouve le temps où l’on ne dominait pas la nature, mais où l’on y entrait, sans rien déranger. En humant l’air du temps, surpris par l’envol d’un ramier, accompagné au printemps par le rossignol que tu ne vois jamais, mais dont le chant t’accompagne.

            Si par hasard tu veux entrer dans l’Evangile, ouvre St Luc et lis l’histoire des pèlerins d’Emmaüs. Voilà une histoire de gens qui marchent et qui se rencontrent! Rencontre d’un soir, mais qui laisse derrière elle des cœurs brûlants, éblouis par le passage de Jésus ressuscité.

            Oui, retrouvons les joies de la marche. Tu ne sais jamais qui tu vas rencontrer, mais tu sais d’avance que tu en seras changé.

 

mardi 10 mai 2022

Une expérience: Compostelle

 

 

            Voilà un vrai pèlerinage : prendre, à pied, le chemin de Compostelle. Je dis bien le chemin. Pas le voyage en bus ou même en vélo, mais « cheminer », se mettre dans les pas des pèlerins du Moyen Age, qui, ne pouvant plus aller à Jérusalem occupé par les Turcs, créèrent ce nouveau « camino ».

            Marcher, c’est entrer dans la lenteur, affronter des horizons qui semblent toujours fuir devant vous, comme en Vieille Castille, se mesurer à la montagne dans une montée sans fin où un sommet en cache un autre, plus loin, comme à Villafranca. Loin sont le TGV, la Formule 1 et même la trottinette. Une marche où le sac pèse, par des chemins pas vraiment carrossables, devenus boueux et même bouseux avec la pluie. On redevient un peu sauvage, mais on  a aussi le temps de s’emplir les yeux de beauté.

            Cela, c‘est le côté romantique du chemin de Compostelle. Mais allons plus profond. Bien sûr, on croise des fanas de la performance  (faire tant de kms en  une étape, et pour qui aller à Compostelle ne représente rien d’autre qu’une sort de rallye des Calanques en plus allongé !).  Mais il est bon de donner au pèlerinage son vrai visage : c’est une image qui est l’image de la vie : une lente traversée vers un au-delà qu’on espère, qui se rapproche, qui laisse sa place à l’imprévu des rencontres … et des orages, qui nous révèle à nous-mêmes. Affronter l’obstacle qu’il faut dépasser si l’on veut être fidèle à soi-même ; c’est,  


pour le croyant, une confrontation avec Dieu comme Jacob se battant avec l’Ange.

            Oui, Compostelle est la vraie figure de la vie, où il faut avancer, se battre, tomber et repartir. Lourdes est aussi un vrai pèlerinage, mais la charge symbolique est différente. Compostelle nous aide à imaginer ce que furent les Croisades, cette marche vers Jérusalem, bien plus dangereuse, où l’on risquait sa vie à l’instar du Christ marchant vers sa mort.

            Allons encore plus loin : Compostelle, nous l’avons dit, nous révèle à nous-mêmes, dans la vérité. A ce sujet, j’ai bien aimé le film « St Jacques-La Mecque ». Là, peu à peu, le chemin partagé avec ses aléas soude un groupe très éclaté au départ, mais qui finit par révéler le trésor que porte chacun dans son cœur, l’amitié, le secours mutuel, tout ce qui donne un goût de paradis à la vie ensemble.

            Etre en vérité, dans une vie où chacun, croyant ou pas, est appelé à donner le meilleur de lui-même, tout en sachant ses propres faiblesses.

            Naturellement, ce que je dis là restera inaccessible à celui qui n’a  plus envie de se battre !

 

samedi 16 avril 2022

L’homme qui marche.


 


            « L’homme qui marche » : c’est le titre du beau petit livre de Christian Bobin sur Jésus[1]. Pour lui, Jésus n’arrête pas de marcher, de Nazareth à Capharnaüm, de Galilée en Judée, toute la Palestine. Avec quelques escapades de l’autre côté du Jourdain… Curieux quand même : cet homme resté 30 ans à Nazareth, le voilà qui ne tient plus en place ! Pourquoi ? C’est qu’il a un message à délivrer... Et de fait, il y a ce Royaume de Dieu qui vient et qui le brûle, qu’il doit annoncer.

            Alors Jésus devient la plus belle image de Dieu venant à la rencontre des hommes, ce Dieu de l’Ancien Testament que nous avons vu nomade un moment, marchant avec son Peuple pendant 40 ans… Après le désert, Dieu se plaignait qu’on veuille le retenir dans le Temple de Jérusalem, lui le Libre ! Oh certes, on répétait très haut que Dieu n’était pas comme les hommes, qu’il était libre et tout. Et les prophètes ne se faisaient pas faute de rappeler la liberté de Dieu. Mais quand même, on était content de le savoir dans le Temple, pas prisonnier mais à portée de main tous les jours. Un Bon Dieu portatif en somme…. Il y avait bien les Samaritains qui disaient avoir Dieu sur leur montagne. Mais c’était des hérétiques.

            Et voilà Jésus, figure bien réelle de Dieu qui marche, libre de tout… Qu’est-ce qui le poussait ainsi à bouger sans cesse, sinon l’amour des hommes ? L’amour des gens, surtout des pauvres et des pas-dans-le-bain. Jésus avait au cœur le désir de rencontrer, de toucher, de consoler : la  dame toute tordue[2], le vieux paralysé des deux jambes[3], le gamin de la multiplication des pains[4]… C’était comme une lumière qui traversait les villages, qui s’arrêtait, illuminant de sa parole claire, qui plus loin faisait se lever un malade, plus loin encore touchait un lépreux . Et l’amour – qui est l’Esprit-Saint – faisait dire à Jésus : « C’est pour cela que je suis envoyé[5]. »

            Alors ceux qui voulaient le suivre, devaient lui emboîter le pas. Certains pour quelques kilomètres, d’autres qui ne le lâchaient pas. Alors ceux-là comprenaient, ou auraient dû comprendre que personne n’est propriétaire de Dieu. Un Dieu qui marche, personne ne peut le fixer, à l’instar des gens du voyage. En Tchécoslovaquie, le régime communiste n’avait de cesse qu’il n’eût  « fixé » les gitans. Mais la Révolution de velours finie, beaucoup reprirent la route… Et les soldats allemands avaient inscrit sur leur ceinturon : « Dieu avec nous ! » Ouais, mais à force de dire ça, on finit par se prendre pour le bon Dieu lui-même. Demandez aux dictateurs de tout poil qui fleurissent actuellement, demandez-leur ce qu’ils pensent d’eux-mêmes. Les voilà assis sur leur trône pour trente, quarante ans : des dieux assis, qui ne bougent que si on les met dehors !

            Non, l’image que les évangiles nous donnent de Dieu, c’est Jésus qui marche, qui « sort » de chez lui, comme dit le pape quand il parle de la Mission. Que François passe en Bosnie ou en Irak, il y a toujours, invisible mais réel, Dieu qui marche. Pas parce que le pape est le pape, mais parce qu’il fait comme tout chrétien qui se lève pour aller vers ses frères.



[1] Christian Bobin, L’homme qui marche, ed Le temps qu’il fait, 1995

[2] Marc 5/25

[3] Marc 2/1-12

[4] Jean 6/8

 

 

 

mardi 15 mars 2022

2. la Bible : des gens qui marchent

 


        

                Ceux qui ont fait le Sahel ont certainement des souvenirs de caravanes... La caravane est une contestation vivante des routes de vacances en France et de leurs files sans fin de … caravanes ! Car la caravane – la vraie – est un monument de lenteur. Les méharis ne courent que dans les fêtes. Mais dans la vie au désert, ils nous disent que la marche, c’est une lenteur. Et il faut entrer dans cette lenteur pour comprendre la vie des nomades.

            Dans la Bible, le début de l’Ancien Testament est une histoire de nomades, et cela a duré des années! Toute l’histoire d’Israël a gardé la nostalgie de la marche au désert pendant l’Exode. Au point qu’Osée le prophète se souvient du désert quand il veut symboliser les premières amours de Dieu avec son Peuple[1]… On comprendra mieux en relisant le merveilleux Cantique des Cantiques.

            Pourtant, la marche au désert fut truffée d’obstacles : faim et soif, découragements, complots et révoltes, idolâtries. Un vrai parcours du combattant pour les inconditionnels  de Dieu ! Pour le Peuple d’Israël, l’Exode  a été comme un entrainement, un apprentissage de la marche avec Dieu. A travers les aléas du désert, le Peuple apprend à ne compter que sur Yahvé, il apprend à marcher avec Lui ; en ruant dans les brancards certes, en râlant à longueur d’Exode, mais en marchant toujours.

            Le Peuple apprend la fidélité ; il apprend surtout la patience de Dieu, Dieu qui entre dans la lenteur des nomades pour que son Peuple continue à marcher.

            Mais, comme dit Xavier Léon-Dufour, « Dieu a voulu faire passer  son peuple par cette « terre affreuse » pour le faire entrer dans la terre où coulent le lait et le miel[2]. » ». Dès lors, la marche devra continuer, sinon la colère de Dieu grondera. Dès que le peuple enlève ses godasses pour mettre des pantoufles, par prophètes interposés Dieu est là pour le secouer, et durement ! Et ce sera l’Exil à Babylone.

            Pour bien des juifs, la terre d’Israël représente aujourd’hui la fin du voyage, cette fin symbolisée lorsque deux juifs de la diaspora se souhaitent mutuellement : « Demain à Jérusalem ! » Grand bien leur fasse ! Mais pour le chrétien, la marche ne s’arrête pas, cette marche hautement symbolique que le Christ refit pendant ses trois ans de « vie publique ».

            Ce symbole nous appelle à ne pas nous laisser arrêter, ni par le confort, ni par l’incroyance, ou par le mal sous toutes ses formes. Nous avons, nous aussi, notre Terre Promise à rejoindre.

            Alors, pour y arriver, continuons à marcher.

 



[1] Osée 2/16

[2] Xavier Léon-Dufour, Vocabulaire de théologie biblique, Cerf 1971, p 261.

mercredi 23 février 2022

Marcher - Un homme, ça marche

 

         Le pape François n’a pas l’habitude de mâcher ses mots ! Dans son document « politique et société », il lance : « Quand un homme ou une femme n’est pas en chemin, c’est une momie, une pièce de musée. Cette personne n’est pas vivante [1]! »

         Je ne sais pas si le pape aime la montagne à l’instar de l’un de ses prédécesseurs Pie XII, en tous cas il ne parle pas pour ne rien dire ! Il continue : « Lorsqu’on marche, on rencontre »…

            C’est peut-être une des leçons  de cette crise du covid : à rester confiné, on ne rencontre personne ! Oui, je sais, il y a des réunions virtuelles de toutes sortes, heureusement. Mais ce ne sont pas de vraies rencontres. On ne marche pas l’un vers l’autre, on ne marche pas côte à côte ; d’ailleurs, on ne marche pas du tout.  Et dès que l’alerte est passée, on redécouvre la marche avec délices !

            Le pape va plus loin : pour lui, marcher fait partie de la vocation de l’homme. Une vocation à rencontrer, à communiquer, à échanger. On a dit et redit que  l’homme est un animal social. Au vrai, là-dessus les autres animaux peuvent nous donner des leçons ! Marcher : encore une « chose de la vie » ! Alors aujourd’hui nous allons réfléchir et méditer sur cette autre chose de la vie : la marche.

            Ce n’est pas neutre, quand on voit des gens hésiter entre leur voiture et le trajet à pieds pour aller acheter la baguette à 200 mètres ! Ce n’est pas neutre quand on voit la place des sports de marche à Décathlon. Ce n’est pas neutre non plus quand on se mêle à une vraie foule genre foule chinoise à Canton, et que l’on se demande « Mais où vont-ils tous ? » Autrement dit, la marche nous dit quelque chose sur la vie…  et sur la foi !

            En effet, pour marcher, mieux vaut avoir un but. Il y a bien des gens qui errent sans but, mais à part les retraités et les poètes, c’est rare aujourd’hui. Non, quand l’homme sort de chez lui, c’est comme s’il sortait un peu de lui-même, de son nid confortable, pour risquer les incertitudes et les aléas de la rencontre en allant vers la nature, et vers les autres. Le pape précise : « La grande amitié, mais aussi la guerre, sont une forme de communication[2] ». Donc, ce qui donne son visage à la marche, c’est son but. Et ce but finit toujours par une rencontre, souvent pour le meilleur, parfois pour le pire !

            On marche vers, on marche pour. Autrement dit, marcher c’est être un homme.



[1]  Pape  François, Politique et société, l’Observatoire 2017, p 27

[2]  ibid p 27