samedi 29 décembre 2018

De l'intérieur, suite.



Il faudrait nous habituer à voir les choses « de l’intérieur », c’est-à-dire se mettre à la place des gens dont on nous parle !

Par exemple, l’histoire de Jésus au temple quand il avait 12 ans. On peut se mettre à la place de Marie et Joseph, affolés devant la fugue de leur garçon. Beaucoup de parents vivent cela aujourd’hui encore, et c’est un drame.

On peut aussi se mettre à la place de Jésus, dans son cœur à lui. On nous dit que sa fugue a duré trois jours. D’abord ce n'était pas  une vraie fugue ; simplement Jésus a senti qu’il devait être là, au Temple, avec son Père. Avec sa sensibilité et ses désirs d’adolescent, il s’est senti attiré, entraîné, aimanté par la Présence de  Dieu  dans cette bâtisse immense et magnifique. Il s’est senti chez lui,  et ça personne, pas même ses parents, ne pouvait le comprendre vraiment. L’évangile le dit d’ailleurs.

Voilà donc Jésus au Temple pendant trois jours, trois jours et deux nuits ! On ne va pas nous faire croire que Jésus a passé trois jours et deux nuits à discuter avec les docteurs de la Loi ! Non, il y eut bien autre chose ! D’abord c’est la première fois que Jésus monte au Temple depuis qu’il a l’âge de raison… On l’imagine entrant seul dans le Temple, un peu perdu, lui le petit villageois de Nazareth,  devant tant de splendeur. Pour lui, ce fut un éblouissement, un ravissement intérieur devant la Présence, un envahissement de la Présence du Père. Ce fut sans doute à l’image de ce que vécut son ancêtre Samuel dont nous parle l'Ancien Testament (1 Samuel 1 et 3). Car là, dans le Temple, Jésus était « chez son Père », autrement dit il était chez lui. Il dut y avoir une rencontre d’amour extraordinaire entre lui et son Père avec l’Esprit…. 

Et Jésus a vécu cela trois jours et deux nuits. Est-ce à ce moment-là qu’il prit l’habitude de prier son Père la nuit ?... On peut imaginer le silence nocturne dans ce Temple immense, et au milieu de ce silence, la rencontre de l’adolescent avec le Père et l’Esprit.



mercredi 5 décembre 2018

intermède: De l'intérieur



Je portais ça dans ma tête depuis longtemps. Plus exactement depuis 1988, au temps où, lors d’une année sabbatique à Paris, je réfléchissais à mon parcours depuis 1960, au temps de mon arrivée à Sir. Je me demandais pourquoi ces vingt premières années  furent parmi les plus heureuses de ma vie ?
Rapidement, la réponse m’est venue : en vingt ans, j’ai eu le temps, on m’a laissé le temps, d’entrer dans un peuple… Mais alors, d’y entrer vraiment, de vivre  ce peuple pour ainsi dire « de l’intérieur ». Je m’explique : on peut vivre dans un coin pendant des années, et rester extérieur à ce coin ! On peut vivre dans un peuple, mais à l’état de touriste perpétuel. On collectionne quelques objets curieux, on tire quelques diapos, on bafouille quelques mots de la langue. On a quelques amis bien sûr, mais on n’entre pas vraiment « dedans ». Et on quitte le pays sans état d’âme.
Connaître un peuple de l’intérieur, c’est difficile à décrire. Dans un premier livre, j’avais parlé de « connivence ». Un mot imparfait, mais qui signifie quand même que l'on dépasse le niveau de la tête, de la connaissance, pour arriver au niveau du cœur. La connivence, c’est ce lien qui n’a plus besoin de paroles,  un ressenti partagé, une sorte de sixième sens  qui vous faire dire « On se comprend ». C’est se surprendre à avoir les mêmes réactions de défense ou de fureur, le même humour face à la vie, les mêmes rires. C’est entrer dans la joie démente des fêtes, dans la douleur des parents dont le petit a été tué par un serpent. C’est aussi épouser la même révolte devant les injustices du pouvoir.

Pourquoi dis-je cela maintenant ? Parce qu’au niveau de ma foi, je crois que je suis en train de vivre la même chose. Là aussi c’est difficile à expliquer. Disons que certaines paroles de l’Evangile, pas toutes, je suis "entré dedans". Là encore, il ne s’agit plus seulement de la tête, mais du cœur. Ne m’en demandez pas plus, je  ne puis dire qu’une chose : je vis cela de l’intérieur, je me dis « Cette parole, c’est pour moi ! ».
Allons plus loin … Maintenant je comprends. Ou plutôt je crois, je  crois qu’en me permettant d’entrer dans ce peuple kapsiki pendant vingt ans, Dieu me faisait prendre un chemin pour qu’aujourd’hui je comprenne l’Evangile « de l’intérieur ». Comme le Christ est venu chez nous pour nous connaître « de l’intérieur ». On appelle ça l’Incarnation…  Vous allez me dire : « Depuis soixante ans que tu es prêtre, tu en a mis le temps ! » Possible, mais pour Dieu, le temps compte peu, il a son Heure. 
J’ai envie de me mettre dans la peau de St Augustin (fin 4ème siècle) :
« Tard je t’ai aimé, ô beauté si ancienne et si nouvelle ! Tard je t’ai aimé ! Mais quoi ! Tu étais au dedans de moi, et c’est au dehors que je t’ai cherché ! »