Il se disait « libéré ». Ou, en plus moderne, « rebelle ». Et, parce que moi prêtre j’étais là, il se proclamait « libéré de son baptême ». En fait, il n’avait appris de sa religion qu’un ensemble de préceptes plus moraux les uns que les autres, mais pour lui à la longue insupportables : « Fais ceci, fais pas cela etc.… » Alors il s’en est libéré comme d’un carcan, comme des chaînes aux pieds tel un âne entravé. Il fallait qu’il s’en sorte pour vivre sa vie d’homme debout…et il avait certainement raison !
Mais voilà : quel horizon lui restait-il, à cet homme ? Car j’ai constaté : livré à lui-même, à ses désirs, à ses phantasmes, alors tout pouvait arriver. Ego surdimensionné, volonté de puissance, sexualité débridée, suffisance insupportable avec les autres. Il avait oublié même le b-a-ba de la vie en société : « Ma liberté s’arrête là où commence celle des autres. » Je vous demande : « Quand on devient esclave de soi-même, où est la liberté??? » Tant qu’on
voit la religion comme une prison bonne pour les naïfs, on a raison de vouloir
en sortir. C’est ce que font des tas de gens en France, avec un accent fleurant
bon mai 68… Mais il faut se rendre
compte que le christianisme est beaucoup plus qu’une morale un peu ringarde.
C’est l’Evangile vécu. C’est quelqu’un qui te libère de ce qui te tient
esclave. Entre nous, il est bon de se regarder de temps en
temps : « Qu’est-ce qui
m’attache, qui m’empêche d’être libre ? » Si c’est le tabac,
c’est moins grave. Mais chacun sait qu’il existe des addictions pires que
le tabac !
Jésus a fait
bien des miracles, guéri des lépreux, des aveugles etc.… Mais il ne s’arrêtait
pas là, il savait « ce qu’il y a
dans l’homme ». Alors, chaque fois que Jésus guérit quelqu’un, il y a
comme un appel profond, profond comme le brame du cerf en forêt de Compiègne.
C’est flagrant dans la guérison du paralytique. Et dans la guérison de l’aveugle-né
en St Jean. Jésus lui rend la vue, oui, mais il lui ouvre aussi les yeux
du cœur…St Paul a des mots très forts là-dessus.
Cette
libération de toi-même a deux facettes. D’abord elle te jette dans les bras du
Dieu d’amour tel que Jésus te le montre. Ensuite elle te fait sortir de ton
moi, ce moi que tu chouchoutes. Pour toi désormais, il se produit un changement radical : seuls les autres comptent. J’ai déjà parlé de ce gamin à
qui j’avais donné un bout de pain, et qui, instinctivement, cherchait des yeux
avec qui partager.
J’étais récemment chez
des amis, avec plein de jeunes couples et de bons copains passant leur temps à
se charrier les uns les autres. Et j’étais un peu triste car personne ne m’a
accompagné à la messe du dimanche. Mais j’ai trouvé des gens bien dans leur
peau, aimant la vie. Et qui chantaient en chœur la chanson de Florent
Pagny : « Vous n’aurez pas ma liberté. » J’avais
envie de leur dire : « L’Evangile vous offre cette liberté. »
J’en avais envie, mais je ne l’ai pas dit.
Thomas
Merton me le rappelle : « Il faut que j’apprenne à « me
quitter » pour me trouver, en m’abandonnant à l’amour de Dieu. »