vendredi 27 octobre 2023

Dieu est libre

 


 

            Sur les marchés africains, on te propose un prix. Après, il faut marchander. Et si tu ne marchandes pas, on te prendra pour un blanc, ou pour un naïf qui ne connaît pas la vie… On te dit un prix, et s’en suit tout  un jeu de scène ; c’est la guerre des nerfs : départs outrés, appels contrits du marchand, jusqu'à ce qu’on s’entende.

            Avec Dieu, on ne marchande pas. Marion Muller-Collard dit que Dieu n’accepte pas les contrats, il n’est attaché à aucun contrat, il est libre. Et Marion, dans « l’Autre Dieu », avec son enfant malade, revit littéralement l’histoire de Job.

            Le livre de Job est long. Nous savons ce qui est arrivé à Job, un bon type, un ami de Dieu, honnête,  pieux  et tout et tout. D’ailleurs cela se voyait : tout lui réussissait !.. Et puis c’est la cata ! Job perd tout. Et, tout au long de cette histoire, les amis de Job essaient de le raisonner : « Tu as dû faire une grosse bêtise pour que Dieu t’ait lâché. Ce faisant, tu as rompu le contrat que tu avais passé avec Dieu. Tu ne dois t’en prendre qu’à toi-même ! » Et Job, obstinément, de protester de son innocence. Alors, au fil des pages, Dieu prend la parole et daigne expliquer…qu’il n’a jamais fait de contrat avec Job! Dieu est libre. Avec Job, il n’y a jamais eu de donnant-donnant, ce jeu minable où Dieu se mue en commerçant. Quoique… l’Ancienne Alliance ait toutes les allures d’un contrat !

            Bien des gens ont du mal à comprendre que Dieu est libre, absolument. Ils pensent faire un contrat implicite avec Lui : « Si je fais bien, tu me fais du bien. Si je fais mal, tu me punis. » Des millions de chrétiens pensent comme ça. Or ce n’est pas ça, mais alors pas ça du tout ! Ecoutons Marion Muller une fois encore : «  Jésus de Nazareth a payé de sa vie d’avoir fait voler en éclats les enclos de religiosité qui contraignaient son Dieu immense à n’être que le pauvre signataire d’un contrat. » (L’autre Dieu p 98). Nous libérons Dieu, et nous nous libérons par la même occasion.

            Il y a des signes de la liberté de Dieu, entre autres la gratuité. Voyez vous-mêmes : pourquoi Jésus a chassé les marchands du Temple (Marc 11) ? Parce qu’on n’achète pas Dieu, on n’achète pas l’amour de Dieu. Dieu nous aime, pas parce que nous sommes gentils et pleins de mérites, mais pour que nous répondions à son amour. En clair, Dieu nous aime parce que… c’est nous ! Pas d’autre explication : c’est pour rien, c’est gratuit. C’est une affaire d’amour. Allez demander à tel garçon pourquoi il aime telle fille ? Bien souvent il ne saura que répondre.

            Il faut absolument sortir du donnant-donnant… Un jour au marché, un homme vendait de l’ail. Or c’était en temps de famine, et il bradait son ail pour acheter un peu de mil pour ses enfants. Je lui demande : « Comtien ton ail ? – 50 frs CFA le kilo. »  Je réponds : « Non, je ne te l’achète pas à moins de 100 frs. » Vous auriez vu la tête des gens !

            Nous avons du mal à accepter que Dieu nous aime pour  rien. Alors peut-être est-ce notre mission de chrétiens de montrer que, dans ce monde où tout s’achète et se vend, la gratuité dans notre amour des autres est l’image de la liberté de Dieu. L’heure du bénévolat a sonné depuis longtemps. Une belle réflexion du P. Varillon : « Embrasser une joue jeune et fraîche, c’est agréable. Mais embrasser un lépreux, c’est de l’amour gratuit. »