lundi 24 mai 2021

4. Repas bibliques

 


            Dieu est, entre autres, « celui qui donne à manger ». « Il comble de biens les affamés », comme dit Marie dans son Magnificat.

            La Bible est pleine de repas. Depuis le repas furtif du pauvre qui mange ce qu’il trouve pour tromper sa faim, jusqu’aux festins à tout casser comme peuvent se le permettre les grands…. Dans leurs repas comme dans la vie, les petits hommes s’agitent beaucoup. Mais se rassembler pour manger est souvent, dans la Bible, un événement. Il s’agit bien de pimenter la vie ensemble… et de dire Dieu. La Bible dit Dieu à travers la vie des hommes, c’est ainsi.

            Il y a un repas qu’on peut appeler un repas-fondateur. C’est le repas de la Pâque, telle que le raconte le livre de l’Exode. C’est juste avant la sortie d’Egypte. Et, tout de suite, un détail intrigue : pourquoi le peuple doit-il manger debout, le bâton à la main (Ex 12/11) ? Pourquoi pas assis ? D’ailleurs, entre nous , manger debout le bâton à la main, ne devait pas être très commode pour se servir ! Et pourquoi si vite ? C’est contre les règles de la politesse : on n’a même pas le temps de s’asseoir et de discuter.

            En fait, Dieu a prescrit de manger debout pour signifier que la liberté n’attend pas ; il faut se tailler oui, mais vers une Terre Promise, espérée, célébrée par les exilés…. Ce repas-fondateur avec un agneau – l’agneau pascal – a marqué le peuple d’Israël, au point que St Jean dans son évangile, n’hésite pas à appeler Jésus l’Agneau de Dieu, le nouvel Agneau Pascal.

            Et puis, on trouve dans la Bible ce qui donne toute sa noblesse au repas : l’hospitalité. Chez les nomades, l’hôte est sacré ; tant qu’il est chez toi, personne ne peut toucher à un cheveu de sa tête. Car cet hôte, cet étranger, peut être un ange de Dieu déguisé ! A l’inverse ; manger avec quelqu’un est ensuite lui faire du mal, c’est une trahison. Témoin Judas qui, après avoir accepté la bouchée que le Maître lui offre, court pour aller le livrer.

            Il y a un trait que l’on retrouve chez nombre de peuples : on ne peut pas faire un geste religieux sans repas, c’est impensable ! Il faut marquer l’entente ou, mieux, l’alliance. Autrefois au Nord-Cameroun, au temps de l’insécurité permanente et des razzias, quand quelqu’un voulait voyager sain et sauf, il allait au préalable faire alliance avec des gens qui étaient sur le parcours. Ils mangeaient ensemble, et ensuite ils coupaient un chien. Tel quel ! Et chacun en emportait une moitié, signifiant ainsi qu’un malheur arriverait à  celui qui trahirait cette alliance !

            Hé bien, on retrouve ce rituel curieux dans la Bible. Relisez le récit de l’alliance de Dieu avec Abraham en Genèse 15/9-20, lorsque Dieu demande à Abraham de couper en deux une génisse, un bélier, une tourterelle, un pigeon. Ensuite, Dieu passe au milieu des animaux ainsi partagés, mais lui seul. Il reste maitre de l’alliance… Il faut goûter ces très anciens rites pour comprendre la délicatesse de Dieu. Et i
l faut avoir en tête cet arrière-plan de l’Ancien Testament pour comprendre les repas de Jésus ; il ne s’est pas contenté de faire descendre Zachée de son arbre, il est allé aussi loger chez lui .

 

mercredi 5 mai 2021

3. Le pain et la parole

 

       Nos coutumes françaises rejoignent bien d’autres coutumes, avec quelques variantes. Repas de fête, simple agapes familiales, pique-nique… Les occasions de manger ensemble sont diverses.

            Nous savons ce qu’il en est des « repas diplomatiques ». Ils sont une excellente occasion de vanter notre cuisine, et d’aborder des sujets délicats où l’on voudrait faire passer notre point de vue, entre deux verres de Meursault. Il y aussi les repas d’affaire. Quand j’étais enfant, souvent  mon père déclarait : « Ce midi, nous aurons un monsieur. » Alors nous savions qu’il faudrait se tenir à carreaux, être poli, pas de bagarres, laisser parler les grands etc…

Même si les façons de manger sont diverses, on remarque tout de suite qu’il y a un point commun : pas de vrai repas sans paroles, sans conversation … Sauf en cas de précarité, ou de goulag. Ou quand il y a de l’électricité dans l’air !

Sans se laisser aller à l’extrémisme d’Anne Soupa déclarant que « la dinde n’est là que pour favoriser les liens », reconnaissons que la place du cœur est importante à table. La maman a mis tout son cœur pour que ce soit bon, chacun participe à la conversation avec cœur : tout cela fait la chaleur du repas.

Allons plus loin : la parole peut, elle aussi, être nourriture. Témoin ce récit étonnant de Jacques Dherbomez commentant l’évangile de St Jean : « Un algérien raconte  :" Le chef du personnel, quand je me suis présenté, m'a fait asseoir-, il a téléphoné trois fois à différents chefs de service sans mentionner ma qualité d'algérien, en disant simplement: " J'ai ici un jeune homme très bien, qui cherche du travail dans telle spécialité ". Après avoir cherché en vain, il s'est excusé auprès de moi. Je l'ai regardé en face: c'était la première fois que j'osais plonger mes yeux dans les yeux d'un français. Je suis reparti heureux. Je n'ai pas soupé le soir, mais mon cœur avait soupé-, je n'avais plus faim ".

Mais, me direz-vous, qu’est-ce que cela a à voir ici, dans une méditation ??? C’est vrai, ce que nous disons ici est fort profane, et en général les sacristies ne laissent pas  échapper beaucoup d’odeurs de cuisine ! Bon, mais alors il suffit d’ouvrir la Bible pour voir la place des repas dans l’Histoire du Salut. Les gens de la Bible n’arrêtent pas de manger, et ce n’est pas neutre ! Car c’est là aussi, à travers le pain partagé, que Dieu rejoint l’homme. Nous restons dans la logique de l’Incarnation.

Je n’ai jamais senti à quel point l’humain et le divin sont à ce point mêlés qu’au Nord-Cameroun. Le sacrifice aux ancêtres est toujours suivi d’un repas de communion auquel tous les membres du saré (l’enclos familial) sont tenus de participer. On cause, on rit, on chasse le chevreau qui, avec obstination, se faufile pour y mettre la dent, on fait taire le bébé qui piaille. Nulle componction, fort peu de silence…  sauf quand le chef de famille parle ! On comprend alors combien la parole est importante, autant que la viande de chèvre, pour souder la fraternité, et pour rejoindre les ancêtres.

Gardons, nous aussi, cet art de vivre : la parole et le pain, la parole avec le pain.