mardi 31 décembre 2019

5. le sens des autres




            J’avais offert un bout de pain à un enfant de huit ans. Au lieu de cacher le pain pour aller le manger dans son coin, le petit, dès qu’il a reçu le morceau, a regardé autour de lui pour voir s’il y avait là un autre avec qui partager ! Tout jeune, ce gamin avait déjà ce que j’appelle «  le sens des autres. » !
            
          Ce sens des autres fait lui aussi partie de ta vie intérieure. Il s’agit d’aimer les autres,  non pas parce qu’ils sont sympas, mais parce que Dieu les aime. C’est en plein le sens de la parabole du Bon samaritain. Le samaritain n’a pas dit : « C’est un juif, je passe. » ou « Pouah il est plein de sang ! ». Non, il n’a vu qu’un blessé…  Pour aimer comme  ça, il faut une sacrée force de caractère. Mais si ta vie intérieure est intense, c’est là que tu puises la force d’aimer. Tu regardes le Christ qui a parlé à la Samaritaine et lavé ls pieds des apôtres, sous le regard lourd des gens , même de ses amis.
            
          Quand tu vis à la surface de toi-même, tu auras beau dire que tu aimes tout le monde, ça ne tient pas plus que des amours de plage. Oui, pour avoir le sens des autres, il faut se perdre de vue, ne pas tout ramener à soi. Sinon ce que nous faisons pour les autres devient une tartufferie ! Cléopâtre aimait Antoine, non pour ses beaux yeux, mais parce qu’elle savait que pour régner, il fallait mettre Rome de son côté !
            
            Dans le Monde du 21 juillet 2019, trois chercheurs avertissent : d’ici quelques décennies, nous serons obligés de changer de modèle économique et social. Obligés de sortir du tout profit et surtout de l’individualisme. Il faudra inventer une société plus conviviale ! Et nous voilà en plein dans notre propos ! Une société conviviale n’existe que pour des gens qui ont le sens des autres. Au fond de moi, je me découvre solidaire de tous. Pour retrouver le pape François  dans Laudato si n°91, je dis qu’acheter des croquettes pour mon chat c’est bien, mais si en même temps je n’ai pas un regard pour le réfugié à ma porte, il y a comme un défaut.
            
         La vie intérieure peut être un cocon, ou elle  peut être un tremplin. Loin d’enfermer l’homme sur lui-même,  elle peut au contraire l’ouvrir  sur les autres. Laudato si n°220 : « Pour le croyant, le monde ne se contemple pas de l’extérieur, mais de l’intérieur, en reconnaissant les liens par lesquels le Père nous a unis à tous les êtres. »
            Notre vie intérieure nous fait alors entrer en plein dans la société future, là où chacun ne pourra grandir qu’en se tournant vers les autres, comme le petit gamin de tout à l’heure.
            
           Ce que je dis sur le futur est peut-être une utopie ? Oui, mais c’est une belle utopie. Ce chemin pour imaginer le monde vu de l’intérieur, nous vient tout droit de Jésus-Christ.

mardi 17 décembre 2019

4. être vrai

  

            A cette époque où le mensonge devient trop souvent une méthode de gouvernement, où le populisme  consiste à dire, non pas la vérité, mais ce que les gens aiment entendre, il paraît nécessaire de marier le parler vrai au vivre en vérité . Que la parole vienne du cœur ou de la tête, peu importe, elle fait toujours partie de notre vie intérieure. L’homme intérieur aime la vérité, quel que soit le risque.
                   Car au fond, qui sont ceux que l’on appelle les « prisonniers d’opinion » ? N’est-ce pas ceux qui, à l’instar de Pierre et Paul déclarant au tribunal du Sanhédrin : « Nous ne pouvons pas nous taire », osent dire haut et fort ce qu’ils ont sur le cœur, moyennant quoi ils se retrouvent  en taule ? Cette expression « ils disent ce qu’ils ont sur le cœur » est juste. Autrement dit, leur parole vient de l’intérieur, et une force étrange, irrésistible, les pousse à la dire tout fort. Ce parler vrai est à leur honneur, dussent-ils le payer de leur liberté, et trop souvent de leur vie.
            Chez ceux qui cherchent la vérité, il y a comme un sixième sens qui leur fait sentir si tel homme public, ou tel prédicateur, parle vrai ou fait du théâtre !
            
            Pour nous chrétiens, nous devrions faire attention quand Jésus dit qu’il est la Vérité. Qu’est-ce que cela veut dire ?
1° en clair, cela veut dire que la Vérité est devenue quelqu’un. En bon français, on dit bien de quelqu’un qu’il est vrai. Cela veut dire qu’il est dans sa vérité d’homme, droit, digne, libre, que ce qu’il dit correspond à ce qu’il fait. On peut lui faire confiance. Jésus a été cet homme vrai : jamais il n’a dévié de sa mission, jamais il n’a reculé quand il s’agissait de défendre l’honneur de Dieu. Par exemple, chasser les vendeurs du Temple, il faut le faire !
2° Jésus nous révèle la vérité de Dieu. C’est le Dieu du lavement des pieds, du baiser au lépreux, de l’accueil des petits. Ce n’est ni le Dieu-gendarme, ni le Dieu vengeur de l’Ancien Testament. Voilà la vérité de Jésus : pas d’autre Dieu que le Dieu d’amour. Et d’avoir osé ce parler vrai sur Dieu, Jésus l’a payé très cher !

              Conclusion : je peux me poser deux questions regardant ma vie intérieure :
1° suis-je un homme, une femme « vrais », à qui l’on peut faire confiance ?
2° ai-je fait la vérité sur Dieu dans ma vie ? En suis-je resté au Dieu-gendarme qui punit et récompense, ou est-ce que je crois au Dieu d’amour tel que Jésus me l’a montré ? Avec ce Dieu d’amour, quand j’aime, je parle et j’agis « vrai ».


vendredi 29 novembre 2019

3. Beauté



            


            Voilà une chose, la beauté, qui remonte aujourd’hui à la surface des médias grâce à l’engouement pour l’écologie ! Le beau, le propre, le pur, toutes valeurs que nous découvrons après des années de consommation effrénée à l’américaine ! Nous découvrons que vivre sur une terre défigurée, sale, dans un désert d’oiseaux et d’insectes, ça ne va pas, ça ne va pas du tout ... Quand je remonte le boulevard de la Libération à Marseille, et que je passe au milieu de ces tags stupides couvrant murs et portes, ça me rend triste.
            Car la beauté fait partie de notre vie profonde. Que serait le monde s’il n’y avait personne pour l’admirer ? Dieu lui-même, nous dit la genèse, après avoir créé le monde, s’est assis dans son atelier et « il vit que cela était bon ».
            Allons plus loin. La beauté fait partie de nous-mêmes. L’émotion devant un vol de flamants comme devant une statue africaine au musée Dapper, cela fait partie de notre vie intérieure. Et l’émotion est encore plus forte quand elle est partagée ! Devant un coucher de soleil rouge sur les montagnes du Nigéria, un gamin de 12 ans m’avait attrapé par la manche : « Regarde comme c’est beau ! »… J’étais ému autant par le petit que par le soleil ! Le rouge du ciel nous atteignait tous  deux au plus profond de nous-mêmes.
            Je crois que, de plus en plus, nous les chrétiens, nous avons un message de beauté à porter au monde. Aider un autre à admirer, c’est l’aider à sortir de lui-même et à se dire que la vie, au fond, c’est bon et c’est beau… Avez-vous déjà fait l’expérience de regarder les gens au sortir d’un beau film ou d’un beau concert ? Il y a comme une lumière dans les regards ; ils ont tous communié au même enchantement… et ils repartent en se sentant meilleurs !
            Cette beauté, elle vit à l’intérieur de chacun. Marie-Madeleine Davy disait en citant St Augustin : «  Je dis aux étoiles : « Parlez-moi de Dieu ! ». Dans ma contemplation je les interrogeais, et leur réponse c’était leur beauté. » … Notons que celui qui vit en surface, à 100 à l’heure, est peu sensible à la beauté. Il n’en a pas le temps ! Or pour admirer, pour que la beauté atteigne ton cœur, tu dois t’arrêter et contempler. J’ai été souvent frappé par les petits bergers du Cameroun. Du haut de leur rocher,  à quoi rêvent-ils, les yeux emplis de la nature somptueuse qui les entoure ? Ils contemplent, sans même en avoir conscience.
            Entrons dans le franc réalisme du pape François avec son encyclique Laudato si : « Quand quelqu’un n’apprend pas à s’arrêter pour observer et pour évaluer ce qui est beau, il n’est pas étonnant que tout devienne pour lui objet d’usage et d’abus sans scrupule » (n°215)
            Et, pour ne pas rester en mode négatif, le pape ajoute dans un bel élan poétique, au n°84 : « Le sol, l’eau, les montagnes sont des caresses de Dieu » .



jeudi 14 novembre 2019

2. Conscience


« L'œil était dans la tombe, et regardait Caïn. » Dans ce poème sombre et terrible, Victor Hugo s’inspire du livre de la Genèse pour décrire les affres de Caïn après son crime. Et il intitule cela « La conscience ». .. La conscience de Caïn le poursuit, le taraude, l’enferme. Où qu’il aille. Mr Hugo appelle cela « l’œil de Dieu »
Même si l’image que se fait de Dieu Victor Hugo est contestable, il reste que la conscience est bien  cette voix, cette mémoire qui est toujours là en nous, et qui nous interpelle, rudement parfois. Rien de terrible là-dedans ! La conscience est une voix à la fois amicale et insistante qui habite tout homme, croyant ou pas.

Elle est là, bon… Mais qu’en faisons-nous, de cette conscience au fond de nous-mêmes. ? On peut l’occulter, se boucher les oreilles, s’étourdir pour ne pas l’entendre ; on peut même devenir « sans foi ni loi ». Je me souviens de cet ouvrier parisien qui, très sereinement, se vantait de ses conquêtes, et ce devant sa femme. Pour lui, l’infidélité était devenue quasi-normale. Et quand d’aventure il réfléchissait, cela se terminait toujours par le stupide et banal : « Tout le monde fait comme ça. »


Parler de la conscience aujourd’hui, c’est important. Notre conscience anime notre vie intérieure, elle est notre fierté. C’est là qu’est notre liberté. Tout homme comprend ce qu’écrit Hetty Hillesum: « On peut nous rendre la vie impossible (les nazis en l’occurrence), nous dépouiller, nous enlever notre liberté de mouvement, mais on ne peut rien nous faire, vraiment rien ! Je me sens libre. »… Non, rien ni personne ne peut atteindre notre conscience.
          Tant il est vrai que tout papa, toute maman qui veut vraiment éduquer ses enfants à la liberté de  l’âge adulte – si tant est que toute éducation est un apprentissage de la liberté – tout parent donc, sait que son plus beau travail sera la formation de la conscience des petits.
            
        Ça va loin,  ça va très loin. Je le répète : notre conscience, rien ni personne ne peut nous l’enlever ou faire comme si elle n’existait pas. Nous autres chrétiens, nous ne cesserons jamais de crier aux oreilles des dictateurs de tout poil : « Vous pouvez nous brimer, nous enfermer, vous n’aurez pas notre liberté de conscience. » C’est facile à dire ici en France où cette liberté est respectée, mais pensons à ceux et celles qui croupissent en prison encore aujourd’hui, pour avoir osé revendiquer cette liberté.
           En Afrique, en Amérique Latine, le missionnaire emploie souvent le mot un peu barbare de « conscientisation ». Il s’agit d’aider les gens à prendre conscience de leur situation de soumission (aux grands, à la pauvreté, …au destin), pour qu’ils prennent leur vie en mains et se sortent eux-mêmes de leur mentalité d’esclave.
            
         Ici chez nous, ce n’est pas de la soumission aux grands dont il faut se sortir, mais  d’une mentalité d’irresponsables, de béni-oui-oui et d’inconscients qui nous empêche d’être des hommes dignes de ce nom.

mardi 15 octobre 2019

1. surfer

Nous commençons aujourd'hui une autre série de réflexions, cette fois sur la vie intérieure. J'aime bien  Madeleine Delbrel quand elle dit :"Si tu vas au bout du monde, tu trouveras des traces de Dieu. Si tu vas au fond de toi, tu trouveras Dieu lui-même."



En anglais, surf est un terme maritime qui veut dire ressac. D’où l’extension du mot à ce sport, le « surf », où l’on vole sur une planche avec le ressac. Par association d’idées, on peut évoquer  la vitesse, la sensation de planer à la surface de l’eau. Même si surf n’est absolument pas une abréviation de « surface » !
Actuellement, on ne surfe pas que sur l’eau ! On surfe devant la télé, avec le Smartphone, en l’occurrence on dit plutôt zapper… Mais peu importe, nous pointons là une tendance très actuelle où tout va vite, surtout les images ! On zappe, on n’a pas le temps de faire même un arrêt sur image. Voyez comment on illustre les chanteurs à la télé !
Voilà donc un aspect de la vie actuelle. On zappe, on risque de rester à la surface de la vie et des gens… Dans le métro, combien ont les écouteurs aux oreilles, seuls au monde avec leur chanteur préféré. Ils sont là et ils ne sont pas là, c’est leur part de rêve dans la grisaille quotidienne. Et dans trois minutes, ils zapperont encore, à la poursuite d’autres rêves.

Ma foi, je trouve que ça ne va pas, au risque d’être accusé de ringardise ! En surfant, on ne va jamais loin, on s’étourdit, On butine, à l’image de ces papillons qui volent de fleur en fleur, se posant l’espace d’une seconde, à peine. On n’imagine même pas qu’il existe un autre niveau de vie, plus haut, plus profond, le niveau de la vie intérieure. Une vie qui atteint l’âme des choses et des gens. S’arrêter, regarder à l’intérieur de soi, ça demande du cœur, ça demande du temps, ça demande du silence… Où en sommes-nous de ce silence intérieur qui seul nous permet de vivre en vérité et d’atteindre la vérité des êtres ?
Voilà une question grave, qu’il faut avoir le courage de se poser. Sous peine de rester d’éternels papillons, de gentils adolescents qui n’arrivent pas à sortir de leur acné.

Ta vie intérieure, quelle est-elle, et qu’en fais-tu ? Mettons-nous en route. Maurice Zundel disait : « La grande aventure vers l’espace n’est qu’un tout petit voyage par rapport au grand voyage vers nous-mêmes. »

Aujourd’hui, osons nous mettre en marche vers nous-mêmes.

mercredi 25 septembre 2019

7. L’amour ne meurt pas.




La mort et l’amour, cela semble contradictoire ? Car ma foi me dit que l’amour ne meurt pas, qu’il ne peut pas mourir.

Et pourtant, depuis Tristan et Yseult, la littérature nous a habitués à voir la mort et l’amour cohabiter. Et même : l’amour comporte toujours une part de mort, de « mort à soi-même ». Et ce n’est pas du roman ! Le Christ a dit qu’il n’y avait pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime.  Ce lien entre l’amour et la mort nous aide à comprendre le Christ.  Sans ce lien, la vie et la mort de Jésus deviennent une vie et une mort pour rien, absurdes, un échec sans appel.

basilique de Pontmain (Mayenne)
Mais l’amour ne meurt pas. Il traverse la mort, oui, mais il ne meurt pas. C’est pour cela que ma foi me dit que la Résurrection, c’est possible. En disant que Jésus, mort pour nous, a fait sauter les portes de la mort, j’arrive à comprendre que la Résurrection est possible. L’image du grain qui meurt est la plus forte que je connaisse pour nous aider à entrer dans ce mystère de la résurrection. Et, en étant un peu fou mais pas trop, je  me dis que tout don de soi, le mien, le vôtre, celui du croyant comme de l’incroyant, participe de la Résurrection.

Car la Résurrection, nous la vivons dès maintenant, nous la voyons ! Il y a le bonheur, rare, de voir quelqu’un que nous avons aidé se remettre debout et retrouver le goût de vivre. Je dis « rare » parce que le travail pour les autres est souvent ingrat, au ras du sol, avec l’impression de toujours avoir à recommencer. Mais parfois, la joie se lit dans des yeux, un sourire illumine un regard jusqu’alors vide, l’espérance renaît. Un peu comme la joie des gens quand le puits creusé arrivait à l’eau. J’ai même vu   des larmes de bonheur, là au bord de l’eau. Cette joie, c’est   notre petite participation à la Résurrection. Le don de moi-même a fait sauter les portes de la mort. Je devrais dire : le don de nous-mêmes, car on ne travaille jamais seul pour les autres.

Pour terminer ces méditations, j’ai envie de citer ce passage saisissant  d’un livre de Tolstoï, La guerre et la paix : le jeune Pétia s’est lancé dans la bataille de Sébastopol pour aider son pays à lutter contre l’envahisseur, en l’occurrence les français !
« Dans le feu de la bataille, Pétia entend monter une fugue qui devient un chant d’église, qui devient un Te Deum. « Ah mais on dirait que c’est un rêve, se disait Pétia. J’en ai plein les oreilles. Tiens la revoilà hardie ma musique ! Allons-y ! » La balle lui transperce la tête mais la musique continue. Et la fin de cet adolescent ouvre l’outre-monde dans lequel il pénètre avec la joie et l’innocence  de son âge. Il était musique avant sa naissance, il la redevient alors même qu’il quitte sa vie terrestre ; ainsi, il continue cette hymne éternelle qui dit sa présence dans l’univers. »


Oui, la musique de l’amour traverse la mort.



mardi 20 août 2019

6. la mort.




Charles de Foucauld et les moines de Tibhirine
 «  La mort avec sa gueule de raie. »… Oui, la mort fait peur, elle fait peur à tout le monde, même à ceux qui crient « Même pas peur ! ». Or je vais dire quelque chose de terriblement austère ; mais pour notre recherche, il faut la dire ; avec Etty Hillesum (décidément je l’aime !), il faut dire : « S’engager, c’est accepter la mort. »

Là, nous sommes au centre du don de soi, vraiment au centre. La parole de Jésus en Marc 8/38, nous le rappelle : « Si quelqu’un veut me suivre, qu’il prenne sa croix… » Mais il suffit de le regarder, lui Jésus : son engagement-pour-les-autres l’a conduit tout droit à la croix. Il avait envisagé sa mort, mais courageusement il a continué.

Personne ne va à la mort en chantant et la fleur au chapeau ; laissons ce cliché aux va-t-en-guerre des deux dernières. Jésus, lui,  a vécu sa souffrance et sa mort difficilement, avec angoisse à mesure que l’Heure approchait.  Or il l’a fait pour nous.

Mais il y a plusieurs genres de mort ; outre la mort définitive, il y a la mort « à petit feu », à feu doux. Et c’est là que se place le don de soi. Quitter ses pantoufles chaque jour pour aller vers les autres, c’est une mort ! Une petite mort peut-être, mais vécue au quotidien. J’ai déjà évoqué le papa qui, rentrant du travail, trouve son petit garçon qui joue sur le tapis. Fatigué, le  monsieur se carre dans son fauteuil et ouvre son journal. C’est  alors qu’une  petite voix monte du tapis : « Papa, s’il te plaît, viens jouer avec moi ! »  Et le papa lâche son journal et s’assied sur le tapis. Cela n’a l’air de rien, mais voilà ce que j’appelle une « petite mort ». Le papa a sacrifié son fauteuil pour faire plaisir à son garçon.
Il y a une belle expression en français : la maman « se consume » pour ses enfants. Voilà le petit feu ! Sœur Marie-Paula, que j’ai connue au Cameroun, se consumait pour ses lépreux. Elle s’est tellement consumée qu’elle est morte de la lèpre. .. Guynemer avait raison : « On n’a rien donné tant qu’on n’a pas tout donné. »

Pour finir, c’est ainsi que l’on voit vivre Jésus dans l’évangile. Toujours chez les autres, toujours attentif aux autres, toujours prêt à secourir les autres, au point de violer le repos du sabbat : la fille de Jaïre, la femme adultère, l’ami Lazare. Sa vie-pour-les –autres prépare sa mort. Elle est déjà une « mort à petit feu » !

Il ne faut pas dramatiser. Mais soulignons que cette mort quotidienne est aussi une mort par amour. Alors là, ça change tout ! L’amour et la mort sont frère et sœur. Tant qu’on n’a pas  allié les deux, on ne comprendra rien à l’Evangile.

Nous verrons cela la prochaine fois.


jeudi 1 août 2019

5. les perversions du don de soi.



Qu’est-il arrivé à Robert Mugabé, le potentat du Zimbabwé  sorti par un putsch militaire, il y a quelque temps ? De militant pour l’indépendance de son pays, tout donné à « la cause », ayant passé dix ans dans les prisons du pouvoir blanc, il s’est mué peu à peu en tyran sanguinaire ! Après avoir affronté la mort pour lui-même, il a imposé la mort aux autres, et ce pendant des années. Au début, il croyait que pour vivre il fallait accepter de mourir. Ensuite, il a pensé que pour vivre, il fallait faire mourir les autres.
Que s’est-il passé ? C’est un cas extrême, mais typique : le don de soi du jeune Mugabé s’est mué peu à peu en recherche de soi, du pouvoir à tout prix. Comme quoi tout engagement pour les autres peut se pervertir… Dans la Bible, le diable manie la soif de pouvoir avec beaucoup de savoir-faire !

La lutte de Mugabé pour libérer son pays fut-elle gangrenée dès le départ par une ambition démente ? Nous ne savons pas. Toujours est-il qu’à l’instar du dictateur, on peut utiliser son propre dévouement comme une échelle pour parvenir à la gloire, à l’admiration des autres. Bien sûr, dans le don de soi il y a le désir de se réaliser, de donner un sens à sa vie, c’est normal. Mais quand la soif de réussir prend le pas sur l’amour sans calculs, alors casse-cou !

D’accord nos engagements ne sont jamais chimiquement purs, il y a toujours un peu de recherche de soi, de recherche de l’estime de soi. C’est pourquoi il est très nécessaire de s’arrêter de temps en temps, de s’asseoir pour faire le point : « Pour quoi suis-je envoyé ? Est-ce que cela me rend heureux ? Est-ce que je cours trop ? Et la place de la prière là-dedans ? »

J’ai connu des personnes qui agitaient leur dévouement comme un drapeau, un peu à la manière de St Paul. Il faut relire l’étonnante énumération en 2 Cor11/23-26.  Cela me gêne  de dire cela,   car il ne faut pas décourager les bonnes volontés. Mais dans l’engagement, le facteur temps est important. Pour que le don reste authentique, il faut sans cesse se remettre en question, surtout au moment où tu es appelé à prendre de plus grandes responsabilités. Rien de pire que les « fonctionnaires de la bienfaisance » et les don Quichotte du dévouement.
Ça ne va pas, il ne faut pas encombrer les autres avec notre bonne volonté. Et là, nous arrivons à un autre mystère. S’il te faut garder humilité et humour dans le don de toi-même, c’est que ton engagement ne sera vrai que s’il envisage la mort. Voilà : jusqu’à la mort. Mais quelle mort ?


lundi 10 juin 2019

4. Tu peux toujours dire non, ou "On verra!"



Que faire devant cet appel insistant qui est censé te faire sortir de toi-même et de tes pantoufles ?

Les réponses sont diverses : tu peux foncer à corps perdu, à la manière de Charles de Foucauld. Tu peux aussi dire « non », définitivement. Boucler la porte de ton cœur… Il y en a que la vie anesthésie, le confort, l’argent, tout ça. Au monsieur bien mis qui demande à Jésus la recette pour aller au ciel, Jésus dit carrément : « Va, vends tes biens, suis-moi ! » Et l’autre  a calé car, dit l’Evangile, « il avait de grands biens »(Mc10/22).
            Entre nous, Jésus n’y connaissait pas grand-chose en matière de pub. A cet homme qui veut le suivre, il dit : « Les renards ont des terriers, mais le Fils de l’Homme (c’est-à-dire lui-même), n’a pas une pierre pour poser sa tête pour dormir. » Mt 8/20… Quand on veut recruter, on ne dit pas ça ! Mais disons-nous bien qu’à celui qui veut s’engager pour les autres, Dieu ne propose pas la vie en rose ! Nous y reviendrons.

Si j’ouvre l’Ancien Testament, je constate que, chez ceux que Dieu a appelés, les hésitations, les marches arrière, les refus n’ont pas manqué. Moïse le premier. Voyez cette comédie quand Dieu veut l’envoyer dire un mot à Pharaon pour libérer son Peuple.  Première réponse de Moïse : « Je suis trop jeune. » Deuxième réponse : « Je ne sais même pas Ton Nom, Toi qui veux m’envoyer. » Troisième réponse : « Personne ne me prendra au sérieux. » Quatrième réponse : « Je bégaie, envoie un  autre ! » Cinquième réponse : « Envoie qui tu veux, mais pas moi. » … Il y a de quoi s’énerver ! Mais la patience de Dieu est sans bornes, c’est la patience de l’amour. Et Moïse finit par y aller.


Des gens qui discutent avec Dieu qui les envoie, il y en a beaucoup dans la Bible : Jérémie, Jonas. Il faut livre le livre de Jonas ! C’est un joli conte, mais plein de sagesse. Jonas est un homme sympathique qui pourrait être le Monsieur Tout-le-monde que nous croisons dans nos rues. Dieu veut l’envoyer convertir Ninive, une mission à haut risque à vrai dire ! Et Jonas se défile, il fuit par la mer; ce faisant, il est tout à fait dans son  droit, il est libre. Mais Dieu ne désarme pas et suscite une tempête. Et c’est le coup de Jonas passant trois jours dans le ventre de la baleine ! Cette retraite forcée l’oblige à réfléchir et le poisson le rejette sur la rive, face à Ninive… J’aime bien Jonas, c’est un garçon qui a du tempérament ; par la suite, il s’énervera sérieusement contre Dieu le très-Patient.

Cette histoire nous rappelle que celui qui est appelé, que ce soit par Dieu ou par sa conscience, est absolument libre de sa décision. Et c’est ce qui fait sa grandeur. Dieu, ou ta conscience, ne te prend pas par peur, ou par intérêt, ou par surprise. Ta réponse est  libre, libre au point que tu peux toujours récupérer ta mise et soit reprendre tes pantoufles, soit t’engager autrement.
Mais dans cette aventure du don de soi, il y a ceux qui détournent l’appel qu’ils ont reçu. Des faussaires de l’Evangile, qui disent oui tout en faisant non. C’est ce que nous verrons bientôt.



mercredi 15 mai 2019

3. le don de soi, un appel




Tout le monde a des yeux pour voir ! Mais cela ne suffit pas pour s’engager. Chez certains, la vue de la détresse leur fait le même effet que de l’eau sur les plumes d’un canard. Chez eux, l’appel des pantoufles est plus puissant. Non ! Chez celui qui « voit avec son cœur », il se produit une alchimie assez mystérieuse, une sorte d’appel intérieur qui le tire hors de lui-même pour aller vers les autres. L’incroyant dira que cet appel c’est sa conscience, et c’est vrai. Le croyant ira plus loin, en faisant remonter l’appel à Dieu. Et il nommera cela « vocation ».

Comment se fait entendre cette vocation intérieure ?   Alors là, il y a autant de types de vocations que d’hommes  et de femmes qui s’engagent… Pour beaucoup, il y a un choc au départ. A l’image de « L’opticien de Lampédusa », de E.J. Kirby. Ce gentil commerçant, au cours d’une balade en mer, se retrouve en plein drame : des migrants par dizaines en train de se noyer… Pour notre homme et sa femme, c’est un choc qui marquera à jamais leur engagement… 
Oui, à l’instar de Dieu qui a vu la misère de son Peuple, des gens ne peuvent plus dormir après avoir vu la peine des autres. C’est tout à leur honneur. Entre nous, ce serait bien l’honneur de l’Europe que de gérer au mieux l’accueil des migrants, ne fût-ce que pour damer le pion à l’Amérique de Mr Trump !

Mais Dieu – ou la conscience  – a d’autres cordes à son arc ! Une lecture, une séquence à la télé, l’exemple d’un voisin, un SDF qui demande un bout de pain,  voire un long séjour à l’hôpital après un accident, tout peut entraîner une  prise de conscience…. Toujours est-il que personne ne s’envoie tout seul. Il faut toujours un appel extérieur, un concours de circonstances que les chrétiens appellent providence. Donc restons humbles, ne   jouons pas   les abbés Pierre du monde, mais en secret, remercions celui, Dieu ou un autre, qui nous appelés. Et si d’aventure nous nous demandons : « Pourquoi moi ? », devinons que c’est un geste d’estime et un honneur, voire un signe d’amour, que l’on nous fait.

Je voudrais simplement, pour terminer, évoquer une sorte d’appel que j’ai vécu et que – je le sais – bien d’autres ont vécu. C’est un appel puissant, intérieur, entendu une nuit. Un appel bouleversant qui vous laisse ébloui comme après un beau rêve. Un appel insistant aussi : j’ai moi-même essayé de le faire taire pendant un an, en vain. Sans vouloir faire le malin, je l’ai comparé à la fameuse « nuit de Pascal » telle qu’il la décrit au début de ses « Pensées ». Ou, plus récemment, à la « Nuit de feu » d’Eric-Emmanuel Schmitt... Cet appel a décidé de ma vie missionnaire.

J’en témoigne ici, tout en me disant que les manières de Dieu sont souvent bizarres ! Exactement ce que le prophète Isaïe devait se dire quand Dieu l’a appelé :« J’entendis alors la voix du Seigneur  qui disait : « Qui enverrai-je ? » Je dis : « Me voici ! » Il dit : « Tu diras à ce peuple : « Ecoutez bien, mais sans comprendre, regardez bien, mais sans reconnaître !... » … Pas facile !!! Mais dépassons la difficulté, ne laissons pas au commando Hubert ou au colonel Beltram, l’exclusivité du don de soi pour sauver les autres.

mercredi 24 avril 2019

Châteaux



Les pères Oblats, dont je suis, sont dits « missionnaires des pauvres ». Bon, mais pas de quoi pavoiser, car tous les missionnaires se disent « des pauvres », à l’instar des Sœurs qui sont toutes des « petites » Sœurs (des pauvres, de Jésus)… Je n’ai jamais entendu parler ni de « missionnaires des riches », ni de  « grandes Sœurs des pauvres » !
Et pourtant, les « grands » existent ! Je viens de passer quelques jours dans un coin de la France profonde . Loin des vents de sable de Marseille, j’ai vécu la vie de château, moi qui me dis « des pauvres » ! Et j’en suis fort aise. Imaginez un peu : des plafonds de cinq mètres  de haut, des trophées de cerfs faisant ressembler les couloirs aux frondaisons environnantes, ou aux barbelés de la guerre de 14 dont le souvenir est ici omniprésent.. C’était dans l’Aisne, non loi de Coucy-le-château, dont les restes du fameux donjon dominent le paysage.

L’Aisne est à découvrir : des champs immenses, nus, monotones, à côté de forêts à perte de vue, de marais avoisinant la Somme. Et partout, des traces de la Grande Guerre. Cimetières, mémoriaux comme celui de Péronne où l’on découvre les mille astuces du poilu pour se protéger de la mitraille… Bien sûr, les bois hachés par les obus ont repoussé. Mais on se souvient encore de la Grosse Bertha, cet énorme canon qui tirait sur Paris, cachée astucieusement dans la forêt voisine de St Gobain.

L’Aisne c’est aussi, je l’ai dit, une terre de châteaux. Sur les 600 grandes demeures détruites en 14, quelque 250 ont été reconstruites. Et quels châteaux ! Le mien avait, devant ses fenêtres, un parc de 18 hectares, un étang où nous allions ramasser les œufs de colverts au petit matin, des arbres à faire rêver l’enchanteur Merlin… et une meute de 150 chiens courants qui, de temps en temps, se mettaient à hurler ensemble, de quoi faire pâlir de jalousie les trompettes du Jugement dernier. Vous voyez le tableau ?
Car l’Aisne est aussi une terre de pêche et de chasse. Chasse à courre, à pieds pour le lièvre, à cheval pour le cerf. Au grand dam des anti-chasse, toujours là aux rassemblements sous l’œil goguenard des gens du coin. Car ne nous y trompons pas : en ce pays de grande culture, les équipages ne se composent pas seulement des nobles locaux ! Mais les cultivateurs y figurent en bonne place qui montent dignement leurs immenses chevaux bons à affronter n’importe quel gaulis. La chasse à courre donc, avec son vocabulaire  si particulier et fleurant bon les fastes d’antan, avec le savoir-faire séculaire de ses pisteurs et autres piqueux.

Me voilà revenu de mon château, ébloui et songeur aussi. Je pense que si l’on veut comprendre la France, il faut inclure à la fois le foisonnement de ses villes, et ses terroirs. Faire le lien entre une France qui va trop vite et une autre plus posée, plus calme, où la vie n’est pas plus facile qu’ailleurs, mais dont la stabilité est somme toute assez rassurante.

mardi 19 mars 2019

2. Faut voir!



Pour aller vers les autres, il faut d’abord… les voir ! Et de préférence, les voir avec les yeux du cœur. La Mission, c’est d’abord ouvrir les yeux sur le monde. Or, le premier à avoir vu, qui est même un expert en vision, c’est Dieu lui-même. Ouvrons la Bible au livre de l’Exode et écoutons : « J’ai vu…j’ai vu la misère de mon peuple en Egypte, je l’ai entendu crier… Alors je suis descendu. » Nous passons du Dieu nomade au Dieu qui voit et qui vient.

Ce n’est pas prendre Dieu pour un  homme que de dire qu’il voit avec les yeux du cœur. Un regard lent à la colère. Tout au long de l’Ancien Testament, Dieu passe son temps à regarder son peuple, furieux dans un premier temps en les voyant dérailler, mais toujours prêt à ne pas mettre leurs frasques en mémoire.
Quel est-il, ce Dieu qui voit avec son cœur ? On le devine dans l’Ancien Testament, mais bien davantage dans les évangiles. Si Jésus est en plein dans la Mission telle que nous l’avons évoquée dans le blog précédent, cela vient d’abord du regard d’amour qu’il porte sur les gens et les choses.  Un regard qui voit à l’intérieur. D’emblée Jésus voit « ce qu’il y a dans l’homme » ; alors sa Parole peut aller droit au cœur des gens.

Souvenons-nous de la veuve dans le Temple. Elle glisse une petite pièce dans le tronc, alors que les « el-hadji », les « grands », mettent des billets en les froissant bien pour qu’on les entende. Et Jésus de dire : « Cette dame, dans sa pauvreté, a donné tout ce qu’elle avait pour vivre. » En clair, elle a donné plus que les « grands »… Jésus a vu !

J’insiste sur les yeux du cœur. J’étais un jour dans un village de Navarre avec une religieuse qui en était originaire. A notre passage, les fenêtres s’ouvraient : « Adios ! Carmen ! » Et beaucoup de bonnes paroles que je ne comprenais pas. On aurait dit que nous avions récolté un Oscar à Cannes ! Et la sœur de me dire : « On va aller voir la française du village. » On sonne, on ouvre : « Bonjour madame la française ! Vous êtes bien ici ? » Et la dame de répondre :« Oh vous savez, chacun chez soi, on est bien mieux comme ça ! » La bulle ! Elle était dans sa bulle ! Dans sa bulle, il n’y avait pas de fenêtre sur le village.

Toutes les Associations sont parties du regard d’un homme, d’une femme qui ont ouvert les yeux sur leur monde. C’est peut-être ceux-là qu’on appelle des « donneurs d’alerte ». Bien plus : ces vigilants appellent leurs voisins :"Est-ce que tu vois ce que je vois ? » Un chrétien qui voit, rejoint celui qui ne croit pas comme lui. Mais à deux, ils ont un regard grand comme le monde. Alors ensemble, ils s’engagent.

Terminons en rappelant les affiches de Vigipirate : « Ensemble, attentifs. » Pas seulement pour repérer l’homme au couteau entre les dents, mais attentifs pour voir la détresse du monde.



mercredi 6 mars 2019

1. Une question

Je commence ici une série de réflexions que je me suis faites après mon récent passage au Secours Catholique. Cela ne vole pas haut, mais j'ai pensé, sans vergogne, vous en faire profiter!


En langage chrétien, quand on dit «missionnaire», on pense d’emblée à ces personnages, barbus de préférence, dont les récits exotiques ont bercé notre enfance…. Sortons des clichés, essayons de regarder notre Eglise, notre pays, ici en France et en Europe. Car nous savons que la Mission est à nos portes.
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A bien regarder nos villes, nos quartiers, nos campagnes, on reste confondu par le nombre d’associations qui donnent leur couleur à la vie d’ici, qui animent villes et villages : Restos du Cœur, pompiers volontaires, CCFD, Secours Populaire, associations pour la sauvegarde du patrimoine etc… On ne peut tout nommer tellement il y en a ! En clair, il y a en France et en Europe, une foule de gens qui s’engagent pour les autres. Et ne vous avisez pas de leur demander combien ils sont payés ! N’est-ce pas ça la Mission?
Tous ces gens qui s’engagent pour-les-autres, se passionnent pour leur engagement.  Ils  n’entrent pas dans une association  pour huit jours, mais ils visent le long terme. Et il faut voir l’ambiance dans ces groupes! Le plus souvent, la joie de vivre et l’allant le disputent à la compétence et au dévouement. Nous avons affaire à des gens qui se passionnent, prêts à recevoir des coups au besoin, à braver le froid en partant marauder à la rencontre des SDF, à sacrifier leurs loisirs à l’occasion...

Bon, on n’est pas là pour distribuer des médailles, d’ailleurs ils n’en veulent pas, ces bienfaisants! Mais il est bon de rappeler que le dévouement existe dans notre société européenne, cela devient même une marque de notre culture, ne craignons pas de le dire!

Il y a donc en France, en Europe, des légions de «missionnaires» entre guillemets. Il ne s’agit plus tant de prendre l’avion pour aller au loin, même si cette  aventure garde toute son actualité et fait partie d’une solide tradition française. Mais ici, sur place, que de gens se lancent dans l’aventure du don de soi! Cela fait même partie, pour les jeunes, d’un parcours éducatif équilibré, dépassant le seul critère de la réussite et de la performance…. Voyez la vitalité des Mouvements de  jeunesse. Il n’y en a pas assez, mais ceux qui existent viennent de partout. J’ai déjà cité une animatrice de rue extraordinaire ; un sens des autres hors du commun, une bonté triomphant  de tous les échecs. Or cette fille avait grandi dans les Jeunesses communistes.

Alors voilà la question que nous nous posons et à laquelle nous essaierons de répondre : qu’est-ce qui pousse ces hommes, ces femmes, ces jeunes à s’engager pour les autres ? De quelle mission se sentent-ils investis pour sortir ainsi de chez eux et de leurs pantoufles?

La question est simple, les réponses peuvent être multiples.

vendredi 22 février 2019

7. Pour le moment, on est là!




Quand un ami meurt, on reste un moment les bras ballants, désemparé, regardant la place vide. Et puis, le temps aidant, on se remet à vivre, on « fait son deuil ». C’est important de faire son deuil, de ne pas rester accroché au passé. Vivre dans le passé, c’est vivre dans le rêve, c’est mentir à la vie qui est joie, espérance… En Afrique, là où le culte des ancêtres est très prégnant, les morts ne sont là que pour aider les vivants à vivre, à continuer le travail, à animer le village. Mais gare à celui qui ne  respecte pas ses ancêtres !

Il y a bien pourtant une manière chrétienne de vivre avec nos morts. Dans notre Credo, on appelle ça la « communion des saints ». En langage moderne, on dirait plutôt une solidarité, avec les défunts comme entre nous. Solidarité, ce n’est pas de l’hébreu pour nous français. Pour la moindre grève,  il faut être solidaire, sinon ça ne marche pas. Entre chrétiens c’est pareil ; nous sommes solidaires. D’abord entre nous les vivants, même si ça grince quelquefois. Par notre baptême, nous somme « saints », en communion avec les autres « saints ». C’est beau cette solidarité. En clair, cela veut dire que personne ne va vers Dieu tout seul.
Nous sommes aussi solidaires avec les défunts… Mais en quoi consiste cette solidarité ? Là, il faut faire attention et bien distinguer. Pour les défunts en enfer, nous ne pouvons rien.  Comme dirait un ch’timi : « Eune âne qu’a nin soif, rin à faire ! »… On ne peut forcer quelqu’un qui n’a pas soif  de Dieu… 
Mais pour les défunts au purgatoire ? Pour eux, nous prions très fort pour qu’un jour Dieu les accueille dans sa lumière. Et ceux qui sont déjà au ciel prient aussi pour eux, et pour nous ! C’est ça la solidarité chrétienne. C’est pourquoi l’Eglise nous dit que nous sommes en communion. Il y a donc une très belle prière triangulaire entre le ciel, la terre et le purgatoire. 

Ceci dit, nous sommes encore là, nous autres pauvres pioches ! ! Il s’agit pour nous de nous préparer au grand voyage, ni plus ni moins. Depuis notre baptême, nous posons les fondations d’une maison dont le toit est au ciel. Inutile donc de rester le nez en l’air en soupirant après les « demeures éternelles » ! Pour le moment, nous sommes des « roms spirituels », des nomades de Dieu, toujours en chemin. 
J’aime bien ce que dit Mgr Dagens dans sa Méditation sur l’Eglise : « [Les chrétiens]  se déplacent, ils se rencontrent, et l'on perçoit sans doute en eux un élan intérieur qui étonne. Ces hommes et ces femmes sont portés par un mouvement qui les ouvre au mystère de Dieu et qui, en même temps, les engage dans le monde. »

Au travail donc ! Il s’agit pour le moment de construire un monde d’amour qui soit déjà figure de l’éternité.


jeudi 7 février 2019

6. Ressusciter avec son corps?




Ma foi me dit que le Christ reviendra. Alors tous les hommes, les femmes, les enfants qui seront encore en vie, et les défunts, ressusciteront avec leur corps. Le « Je crois en Dieu » appelle ça « la résurrection de la chair ». St Paul dit : « Celui qui a ressuscité Jésus d’entre les morts, rendra aussi la vie à vos corps mortels. » Rom 8/11. Cette certitude de notre résurrection, nous  la tenons  de la résurrection du Christ, nous l’avons déjà dit. Tout, absolument tout, part de là. St Paul, très net comme toujours, affirme : « Si le Christ n’est pas ressuscité, notre prédication ne rime à rien,  votre foi ne rime à rien ! » Cor 15/14. 
Nous ressusciterons corps et âme, c’est logique, car je suis à la fois pensée et sang, cœur et poumons,  corps et âme ! C’est tout cet ensemble qui va ressusciter. Allons plus loin : toute la création, les plantes et les bêtes, toutes ces belles choses pour la survie desquelles nous luttons avec les écolos, tout cela continuera, mais transfiguré.

Je vous entends déjà avec vos questions : « Comment cela se fera ? Et quand ? Et à quel âge je vais ressusciter ? » Ne faisons pas les malins, on n’en sait rien ! C’est le mystère de Dieu. Alors faisons-lui confiance. Encore une fois, mettons notre main devant la bouche, et disons comme ce savant dont j’ai oublié le nom : « Je sais que je ne sais pas. »…
            Libre à chacun de fantasmer sur ce que sera la vie après la vie. Un indien d’Amérique du Nord parlera des « chasses éternelles », où les bisons foisonneront à nouveau ; un musulman  aura une vision  encore plus croustillante… Je crois qu’il faut croire, c’est tout. Et je souscris volontiers à ce que disait le général du Barrail en 1873 : « Si vous ôtez aux soldats la croyance en une autre vie, vous n’avez pas le droit d’exiger d’eux le sacrifice de leur vie. »

Le grand large de la vie éternelle
Ceci dit, le plus important n’est pas là. L’important, le centre de notre résurrection, c’est que nous serons jugés sur l’amour. Comment avons-nous aimé maintenant ? Qu’avons-nous fait pour les autres, avec les autres ? Il faut relire le chapitre 25 de St Mathieu, versets 31 à 46, où Jésus nous propose une vue saisissante du Jugement final. Et voilà comment il conclut : « Tout ce que vous avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. » Tout homme, je dis bien tout homme, chrétien ou pas, sera jugé sur l’amour. Alors on peut imaginer la vie éternelle comme un temps sans temps, un lieu sans lieu, où il n’y aura plus que l’amour. Voilà ce que nous croyons, et aussi ce que nous espérons : la résurrection d’un monde d’amour.

Cette série de méditations sur les fins dernières est presque terminée. Il est heureux que cela finisse sur le grand large de la vie éternelle, car ce sera le dernier et le plus beau cadeau que Dieu nous aura fait !


mardi 29 janvier 2019

5. Purgatoire.




Hannah  Arendt disait que les camps nazis, c’était l’enfer, et le goulag soviétique, le purgatoire. La comparaison est juste : on ne sortait du camp nazi que par la cheminée du four crématoire, tandis qu’au goulag, les gens subissaient une « purge » censée remettre les « coupables » dans l’orthodoxie du Parti, leur laissant ainsi l’espoir d’en sortir un jour, peut être … Le mot purge a donné purgatoire, non ? 

Dans l’idée de purgatoire, il y a en filigrane le souvenir des casseroles que nous avons traînées au long de notre vie : des fautes nombreuses, regrettées mais pas réparées, comme le voleur qui avoue son vol mais  n’a pas rendu ce qu’il a volé. Des rancœurs, des « dettes » comme dit le Notre Père, dettes non réglées, voire des vices bien incrustés. Toutes ces casseroles, même pardonnées à travers la mort du Christ, demandent purification avant que le défunt ne rejoigne les saints du ciel. D'où le pur-gatoire  

On a parlé de purgatoire à partir du 15ème siècle. Mais déjà au 5ème siècle, le grand pape St Grégoire parlait de « feu purificateur ». De plus, soyons logiques : si nous prions pour les morts, cela n’aurait aucun  sens s’ils étaient tous au ciel… ou en enfer !
On pourrait appeler le purgatoire un chantier en cours. Un temps qui dure où l’on fait la vérité sur sa vie passée, et un temps de libération. Je dis bien « un temps qui dure », car on ne s’accoutume à la pleine lumière que progressivement, comme la rétine du chauffeur sortant d’un tunnel ne se fait que peu à peu au jour extérieur. C’est là, dans la belle lumière du ciel, que Dieu nous attend ; alors on se fait propre avant de le rejoindre. En langage chrétien, on dit qu’il faut se purifier. Se purifier ? Encore un drôle de mot. Pensons très prosaïquement au bain de pieds avant de plonger dans le grand bain à la piscine, ou au sas de décompression des astronautes.

Tout cela pour dire que le purgatoire est dans la logique de Dieu et de l’homme ; c’est toujours une logique de pardon… Durant notre vie, nous utilisons toutes sortes de stratégies pour nous cacher à nous-mêmes nos faiblesses et nos tares. Cela fait partie de la comédie humaine. Au purgatoire, sous la lumière de Dieu, les faux-semblants ne seront plus possible … Cela fera mal, mais ce sera comme une piqûre qui sauve. Un peu comme une rééducation après un accident.

Reste l’espérance d’en sortir ! Comme disait le prophète Isaïe :
« Le peuple qui marchait dans les ténèbres, a vu une grande lumière.
Sur ceux qui habitaient le pays de l’ombre, une lumière a resplendi. » Isaïe 9/1

mercredi 16 janvier 2019

dimanche 13 janvier 2019

4. ce que nous appelons l'enfer.



Nous occidentaux, sommes bien carrés dans notre confort. Les immigrés nous troublent un peu, mais on s’y fait ! Alors, pouvons-nous imaginer ce que ces hommes, ces femmes, ces petits ont vécu, ce qu’ils ont vu, ce qu’ils ont traversé ? On  retrouve chez beaucoup les yeux immenses de ceux qui ont trop souffert. Ils ont vécu l’enfer, voilà tout.

On peut bien s’imaginer l’enfer : démons fourchus, flammes, cris désespérés…. En fait, c’est pire : il s’agit d’une séparation éternelle d’avec Dieu et d’avec les autres. Une solitude sans fond… Remarquons que chaque fois que nous cédons à la haine, que nous rejetons des autres, nous amorçons notre descente en enfer. Je ne dis pas ça pour faire peur, mais il faut appeler un chat un chat !

Dans la Bible, Satan a trente-six noms. L’un des principaux est le diable, dia-bolos, celui qui divise. Il a séparé Adam et Eve de Dieu, il est toujours à l’origine de la haine, de la guerre, de toutes ces figures actuelles de l’enfer. Le diable, c’est l’anti-amour.
Certains disent – je l’ai entendu – que l’enfer n’existe pas. En effet, disent-ils, comment le Dieu-Amour peut-il supporter que des gens aillent en enfer ? Ce serait un scandale, comme disait quelqu’un ! A ceux-là je dis : Dieu aime, oui, à la folie même. Mais il nous aime libres, car sans la liberté il n’y a pas d’amour. On dit que Dieu est tout-puissant. Peut-être… Et pourtant il ne peut rien contre notre liberté. Si quelqu’un décide de  s’enfermer dans le mal, ne supportant que lui-même, Dieu n’y peut rien. Cet homme est en train de construire son propre enfer. S’il meurt ainsi, le fossé entre lui et Dieu, entre lui et les autres, continuera. Il restera, ce fossé, par la volonté de celui-là, pas par une « punition » de Dieu !

C’est très important ce que je dis là. Il nous faut tenir d’une seule main  l’amour de Dieu et notre liberté, la puissance de Dieu et notre liberté… Bien sûr, il y a un tas de circonstances atténuantes. La haine peut venir d’une enfance malheureuse, l’égoïsme d’une trop grande pauvreté etc… Si bien que, du fond du cœur, je pense qu’il n’y a pas grand monde, sinon personne, en enfer. Mais si nous disons que l’homme est libre, alors il nous faut envisager l’enfer comme possible, c’est tout. Pas la peine de frissonner ! Tant que l’amour et la liberté seront frère et sœur, l’enfer possible existera.
Peut-être pouvons-nous conclure en montrant comment la séparation d’avec Dieu  peut-être diverse. Dans la vie d’ici-bas, elle est vécue souvent sans états d’âme, même si dans la pratique c’est aussi une séparation d’avec les autres. Mais en enfer, cette séparation sera vécue comme une souffrance éternelle.

Redisons-le : si je passe ma vie à élever des murs, à céder au racisme et à l’exclusion, en un mot à rejeter les autres, je construis mon propre enfer.