samedi 28 janvier 2012

un sac de poivre

L'ami Guy Deswarte, de Dunkerque, m'a communiqué ce délicieux souvenir de jeunesse, que je vous livre...

Vacances de Noël pour des enfants Bray-Dunois.

J'ai neuf ans... C'est la drôle de guerre. Les allemands, occupés en Pologne, n'attaquent pas la France, et celle-çi est incapable d'attaquer l'Allemagne. Beaucoup de soldats français occupent Bray-Dunes, et particulièrement la ferme de la Grande Mare, la plus septentrionale de France.
Les soldats du 4ème zouaves, qui l'occupent, désoeuvrés, fument beaucoup. Mais où trouver facilement et à moindre coût, tabac et cigarettes, si ce n'est à la frontière du Perroquet, en Belgique toute proche? Mais pas question pour un soldat de passer cette frontière pour gagner un pays neutre. Surtout pour frauder et rapporter des produits prohibés!
Aussi nous donnent-ils les quelques francs nécessaires à l'achat du tabac, leur viatique, sans oublier les centimes avec lesquels nous pourrons acheter bonbons et chocolats, notre récompense.
Nous partons deux par deux, la fronde au cou, mouffles en mains, visage caché par notre passe-montagne, via la drève (allée bordée d'arbres), pour rejoindre la voie ferrée allant de Dunkerque en Belgique. Et là, nous remplissons nos poches de galets en guise de munitions. Puis nous gagnons les chemins de dune qui rejoignent les maisons de pêcheurs; cachés par la voie ferrée qui les surplombe, nous tirons force grives litornes et autres sansonnets qui se gavent des baies d'arbousiers, à la billebaude.... Cet hiver 39 est particulièrement froid, et les oiseaux migrateurs que nous sifflons pour les dérouter, très nombreux.

Courses faites, munis d'un sac de poivre qui se vend en vrac, nous attendons d'autres équipes pour prendre le chemin de retour. Un retour qui se fait par groupe de huit ou dix enfants. Nous nous sentons ainsi moins vulnérables. Le coeur battant, la peur au ventre, nous empruntons des chemins différents traversant les arbousiers et autres baliveaux, nous sachant à l'abri des regards, prudents et aux aguets pour éviter nos ennemis, les douaniers et leurs chiens. Un jour, il nous est arrivé d'être poursuivis par ces chiens de douanier, mais une poignée de poivre les a fait fuir en hurlant, la queue entre les jambes!

Et, fiers comme Artaban, nous rentrons glorieux vers la soldatesque qui nous félicite de notre exploit.