samedi 24 avril 2021

2. Il y a repas et repas

 

             
Autant de cultures, autant de repas différents.

            Et d’abord, le non-repas. Je rentre à la maison, quelques « bonjour » rapides, et me voilà devant le frigo. Je me compose un fast-menu avec ce que je trouve, puis je vais me carrer devant la télé, mon plateau sur les genoux…. Voilà ce que j’appelle un non-repas ! On peut appeler ça un ravitaillement en vol, ou un arrêt-buffet, ou une pompe à carburant et tout ce que vous voulez, mais ce n’est pas un repas. La table est bien là, mais comme décoration, pour donner l’illusion de la vie de famille. Osons le dire : le non-repas est trop souvent un des visages de la vie actuelle. Une mode venant des USA ? Peut-être. Toujours est-il que cette mode tend à s’implanter chez nous, comme si l’on avait fait une croix sur le savoir-vivre.

            J’étais l’autre jour chez des gens, dans une des nombreuses cités de Marseille. Je vois la maman donner 2 euros à ses garçons : « Allez acheter vos chips ! » Et voilà, le problème du repas est réglé. Alors que le mercredi est une occasion unique pour les petits d’échapper à la cantine scolaire pour venir s’asseoir avec les parents autour d’un bon petit plat bien mitonné…. Le repas en famille est toujours un instant de tendresse. Mais où est la vie de famille si l’on ne se retrouve pas pour manger ensemble ???

            Le but du repas, c’est d’abord…manger. Mais depuis Brillat-Savarin et même peut-être avant, nous en avons fait une sorte de cérémonie bien française. Et qu’en est-il ailleurs ?

            Au Cameroun, je passai dans un village. Là-bas, quand on mange et qu’on voit passer quelqu’un, la bienséance veut qu’on l’appelle. La bienséance vaut aussi pour le passant qui ne saurait continuer son chemin sans prendre ne fût-ce qu’une bouchée… J’arrive donc, et vais m’asseoir avec trois hommes assis autour de la boule mil. Poliment, j’engage la conversation, je « fais des frais », comme on dit. Interloqué devant des réponses plus que laconiques  tenant plutôt du grognement, j’insiste. Jusqu’au moment où mon voisin me dit : « Tais-toi et mange ! Si tu parles pendant que les autres mangent, tu n’auras plus rien ! » Et toc ! Autant pour la politesse !

            J’ai compris : dans un pays où la vie prend souvent visage de survie, manger c’est d’abord tromper sa faim. Pour la tchatche, on verra après. Voilà donc une forme de repas que l’on retrouve un peu partout là où il y a de la précarité. En France il n’y a pas si longtemps, tels étaient les diners à la ferme. Peu de mots, la soupe et les frites d’abord. le travail aux champs n’attend pas.

            Qu’en est-il aujourd’hui ?

 

lundi 12 avril 2021

1. Famines


     Je continue mon exploration des "choses de la vie", car je suis persuadé que c'est là, et là seulement, que l'on trouve Dieu. Aujourd'hui, nous commençons une méditation sur "le repas".

                Un bon repas, c’est sympa ! Encore faut-il qu’il y ait quelque chose à manger ! Personnellement je n’ai pas fait l’expérience de la faim, même pendant la 2ème guerre mondiale, mais j’ai vu des gens avoir faim. Ils ne le disaient pas, bien sûr, ils avaient leur dignité, mais j’entendais des choses… Un homme venu la nuit supplier le forgeron de lui céder un peu de viande d’âne « pour ses enfants » disait-il. Il venait de nuit car les gens jamais, au grand jamais, ne mangeaient de viande d’âne, réservée aux forgerons. D’autres, en temps de famine, se contentaient du moût de bière de mil, d’une pauvre valeur nutritive, pour laisser la vraie boule de mil aux enfants. Excusez-moi, mais quand je vois certains gaspillages ici, ces souvenirs me montent à la tête !

            Alors ma foi, il m’est arrivé de fournir du mil à telle ou telle famille, toujours discrètement à cause de cette sacrée dignité. Mais j’avais le cœur serré de voir, dans  les champs, le mil nouveau sécher sur pieds, et les cadavres squelettiques des bœufs en bordure de route. Cela se passait dans les années 80, mais au 21ème siècle, est-ce tellement différent ? 

 
          
C’est encore pour lutter contre la famine que le diocèse de Maroua au Nord-Cameroun, avait lancé l’opération « greniers en commun ». Il s’agissait de lutter contre la spéculation : en période normale, les petits malins achetaient le mil à bas prix aux paysans, pour le revendre aux mêmes paysans bien cher en période de disette…. Alors les gens ont compris : ils se sont mis à construire des greniers communautaires où chacun  devait apporter 1, 2, 3 sacs au moment de la récolte. Et la communauté interdisait l’ouverture du grenier avant la période de « soudure », ce temps crucial qui précède la récolte suivante alors que les greniers sont presque vides... Ces greniers en commun furent  une belle initiative.

            Initiative terriblement contrecarrée par le fléau actuel de Boko Haram. Quand ces bandits attaquent un  village, la première chose qu’ils incendient après l’école, ce sont les greniers. Pour le moment, le pays se révèle impuissant à lutter contre cette horreur, laissant les gens dépendants de l’aide internationale, perdant ainsi leur dignité, et devenant des clochards perpétuels.

           Et que dire, ici même dans les cités de Marseille, devant la véritable angoisse qui saisit les ménages en ce temps de pandémie, devant le frigo vide ? Que dire à celles qui, toujours discrètement, fréquentent les associations qui distribuent de la nourriture ?

            Nous ne disons pas cela pour susciter une compassion facile, mais pour souligner combien avoir faim est in-humain, non humain, et combien le repas est au centre de toute vie en société. Nous français, nous savons cela dès le sein de notre mère ; c’est tellement évident que nous n’y faisons plus attention.

            Le repas  est aussi au centre de notre vie chrétienne, entre autres dans l’Eucharistie, si nous croyons que l’Eucharistie est d’abord un repas. Nous verrons cela.