mardi 10 décembre 2013

Fragilité

Pourquoi Gabriel Ringlet a-t-il écrit son "Eloge de la fragilité" (Albin Michel 2004)? Je crois qu'il a compris, et sans doute éprouvé dans sa vie, combien le chrétien est un être fragile. Cassable, une vraie porcelaine. Mais, à l'image d'une assiette de Limoges, il est beau! Et s'il a un peu de solidité, cette solidité lui vient d'ailleurs. Voilà le secret du Petit Prince de St Exupéry, ce petit bonhomme à l'écharpe de lune, qui promène de grands yeux sur le monde, sur le banquier prospère, sur l'homme pressé, sur le roi qui cherche des admirateurs. Tous ceux-là croient trouver leur solidité en eux-mêmes alors qu'ils sont cassables, biodégradables comme une luciole un soir d'été.. Peut-être est-ce cela la société bling-bling? Même si l'on se sait fragile, on n'ose pas se l'avouer!
Le chrétien est appelé à vivre sa fragilité. Sa force lui vient d'ailleurs, elle n'est pas lui, il la porte tout en sachant qu'il ne la possède pas.... Avez-vous vu cette photo où l'on voit un petit gamin entouré d'immenses CRS bardés de cuir? Eux sont habillés de sombre, et lui est là au milieu comme un petit diamant. D'où lui vient cette lumière?
Ou bien le mahatma Gandhi, plus chrétien que vous et moi, promenant sa maigre silhouette vêtue de coton blanc, au milieu d'une théorie de sévères messieurs londoniens ? D'où lui vient sa force?
Quand on lit l'Evangile sous l'angle de la fragilité, on comprend mieux qui est le Christ suant d'angoisse à Gethsémani, mais recevant sa force du Père. On se met dans la peau de Pierre crevant de trouille dans la cour du prétoire et tout penaud après la Résurrection. Et Thomas qui doute, et la femme adultère qui découvre le pardon! On comprend que "Dieu n'est pas protégé".
Actuellement, il est possible que l'Eglise ressente mieux sa fragilité, du moins en Europe, alors que trop souvent elle a joué les matamores, jugeant le monde, sûre d'elle-même et de ses dogmes. Aujourd'hui, peut-être, elle a une chance de devenir ce qu'elle est en vrai, servante et pauvre. Elle se découvre vulnérable, et alors oui, c'est peut-être sa chance. Car elle devient abordable à la manière du Christ, ce laïc de province, qui mendiait la foi des aveugles et cassait la croûte avec le tout-venant.
Une chance, la fragilité? 

samedi 2 novembre 2013

Pierre Rabhi

Est-ce qu'un village de poètes, ça existe? Je n'en connais pas, et pourtant il semble bien que  ce coin de l'Atlas algérien où est né Pierre Rabhi, en soit un. Un village où le regard de chacun enchante le quotidien, où l'oreille de tous entend le tintement d'un seau sur la margelle du puits comme une musique, où les petits gardiens de chèvres apprennent très tôt à contempler, assis là sur leur rocher à longueur de journée, oubliant parfois de surveiller leurs bêtes. Un village où personne n'a peur du silence, où personne n'essaie de remplir le silence avec un walkman aux oreilles; un village où la beauté entre dans les maisons sans forcer la porte, amicalement.

Pour qu'un tel village existe, il nous faut décider que la beauté existe. Mais la beauté brute, pas celle que l'on invente; celle qui s'offre à nous sans qu'on le demande: la femme qui revient du puits, la cruche sur la tête, ne sait pas qu'elle a une démarche de déesse. Si le pépé assis sur son banc devant sa maison à regarder un  chat se couler dans les herbes, n'existait pas, il manquerait quelque chose à la beauté du village.... Et pour voir cette beauté, il suffit d'ouvrir les yeux, un peu, et le cœur, beaucoup.

Il faudrait que chaque pays ait son village de poètes. Peut-être cela changerait-t-il le monde? Déjà le regard d'un seul poète peut changer tout un groupe, y mettre comme une douceur, y glisser comme une musique. Je me souviens du témoignage d'un pilote de Canadair lors des obsèques de mon neveu à Peypin d'Aigues. Il disait :"Frédéric était parmi nous comme un poète au milieu d'une meute de pitbull."

Et s'il y avait dans chaque contrée, chaque ville, chaque banlieue, cinquante, cent, mille poètes?..

jeudi 24 octobre 2013

Déracinés

Bien carré dans mon fauteuil, je regarde les lybiens débarquer, hagards, les yeux vides, étonnés d'être encore en vie, sur les quais de Lampédusa.... Séquence suivante: la rage et le désarroi des licenciés d'Alcatel. On saute ainsi d'une misère à l'autre, mais ma foi on voit tant de choses à la télé qu'on finit par être comme anesthésiés. Surtout si ce n'est pas à notre porte.

Et pourtant, à y bien regarder, ne sommes-nous pas , d'un côté comme de l'autre, de Lampédusa à Alcatel, face à un même drame: celui des déracinés? D'un côté, des gens pour la plupart jeunes, qui à force de se taper la tête contre les murs là-bas, finissent par tenter le désert et la traversée. Et les voilà souvent seuls, sans repères, sans comprendre la langue, errant à Calais ou ailleurs. De l'autre, des gens qui ne comprennent pas bien ce qui leur arrive ni pourquoi ils doivent rester sur le quai. Des déracinés eux aussi. Et à 50 ans, allez recommencer une formation, changer de quai, trouver de nouvelles racines.

Vous me direz qu'on en a vu d'autres: les boat-people, les pieds noirs d'Algérie, tout ça. J'ai moi-même connu "l'exode" en 40, mais ce sont des souvenirs d'enfant: un voyage de plus, un bombardement dans cette maison qui tanguait... Peut-être ce 21ème siècle est-il celui des déracinements. Combien de jeunes qui cherchent du travail, savent à peine où ils sont nés, combien de fois ils ont déménagé, quelle terre ils ont quitté. Ce ne sont pas des réfugiés, loin de là, mais peut-être comprennent-ils, mieux que nous les anciens, la peine des licenciés et l'espérance des réfugiés.

lundi 23 septembre 2013

La paix à tout prix?

Vouloir la paix, c'est évident, tout le monde veut la paix, même le plus sanguinaire. Quoique... La paix, on la demande même à la messe.
La paix comme un but à atteindre, c'est une chose. Reste à savoir comment y arriver. Là-dessus, il faut lire l'article lumineux de Jean-Louis Schlegel dans la Vie du 12 septembre :"La paix à tout prix... sur le dos des peuples?" ... Entre nations "bien élevées", qui cherchent sincèrement le jeu démocratique et qui respectent les moyens pacifiques, le débat, le respect de l'autre, pas de problème. Mais avec les dictatures? Que je sache, on n'a jamais vu un dictateur, qu'il s'appelle Staline ou Kadhafi, régner par la douceur. Pis, si ces gens-là prônèrent la paix entre les nations, ce fut uniquement pour piéger les pays démocratiques, car ils savaient très bien qu'un Etat de droit hésitera toujours devant la coercition et la violence.

Avons-nous oublié les leçons du présent et celles de l'Histoire? Les leçons du présent, ce sont les opposants à Bachar el Hassad. Au début de leur révolte il y a deux ans, ils avaient manifesté pacifiquement. Et qu'ont-ils récolté? Les massacres, les bombes, et pour finir, la mort chimique... Les leçons de l'Histoire, c''est Munich en 1938. Mrs Daladier et Chamberlain en revinrent tout contents, ils avaient "sauvé la paix". Hitler aussi en revint tout content, il avait les mains libres pour étendre la "peste brune" par la guerre. On connaît la suite...

Voilà pourquoi l'initiative du pape, cette "journée de prière pour la paix", m'a laissé songeur. Je n'y ai pas participé, car je ne suis pas d'accord pour la "paix à tout prix". Nous ne cherchons pas la guerre, mais comme dit encore J.L. Schlegel, nous voulons empêcher le méchant de nuire. Au besoin par la coercition et la menace. Ce peut être sur le long terme, comme la coercition économique ou l'isolement diplomatique; ce peut être à court terme, comme la force militaire s'il y a urgence. Pensons-nous que les chebabs de Somalie ou les Boko Haram du Nigéria comprennent le mot "paix", ou simplement "pitié"? Le monde restera-t-il longtemps à se lamenter sans réagir? Alors bravo si Mr Bachar el Hassad détruit son arsenal chimique,  mais faut voir à ne pas se faire rouler! Dans le même temps où nous cherchons "la paix à tout prix", le dictateur cherchera à renforcer son pouvoir, et cela aussi, "à tout prix".

samedi 24 août 2013

Style écclésiastique

      Nous jouons tous, plus ou moins, le personnage que les autres s'attendent à nous voir jouer. Plus ou moins encore, nous devenons prisonniers de ce que la vie nous a fait. On peut alors parler d'un "style". Un député ne parlera pas comme un sportif, le style d'un évêque sera  assez différend de celui d'un SDF. Il y a un look "financier" qui ne sera pas le look "technicien du nucléaire" ou "animateur de show-biz". Et les gens s'attendent à nous voir adopter notre style, même si secrètement ils espèrent que l'avocat ne jouera pas à l'avocat, le financier à l'important, et que l'animateur hors de son show deviendra un homme de la rue, ou un homme tout court... C'est comme ça, le style fait partie de la comédie humaine que presqu'inconsciemment nous sommes appelés à jouer.

      En fait, même si au début nous nous étonnons du style de notre milieu professionnel, assez vite cela nous devient naturel. J'ai parlé d’inconscience. Et nous serions tout étonnés si d'aventure quelqu'n se mettait à jouer les Fernand Raynaud en nous imitant!

      Ainsi, il y a un style "curé". Assez varié d'ailleurs. Cela peut aller du genre aumônier JOC tombé dans la marmite de mai 68, au look plus moderne du jeune abbé branché disant son Office sur son i-pod, en passant par le style fonctionnaire du Vatican, pontifiant, paternel, sûr de sa vérité. Entre nous, ce dernier est comme la ville  d'où il sort : éternel.
      Mais le style "curé" atteint le sublime quand on en arrive à la liturgie. Alors là, attention! Souvent, tel qui a une converstaion tout à fait naturelle dans le privé, change complètement de ton dès qu'il "monte à l'autel". Le discours se met en modulation de fréquence, on traîne sur certaines syllabes à la manière des parisiennes du 16ème. Onction, emphase, déclamation péremptoire, tous les ingrédients sont là pour faire de la liturgie un exercice, sinon insupportable, du moins suffisamment emmerdant pour que l'ennui l'emporte sur la prière.

      Vous me direz comme la servante au Pierre de la Passion :"Toi aussi, tu en es!" Bien sûr que j'en suis, et c'est bien pour cela que j'en parle. Un peu comme Saint-Simon pouvait parler de la cour de Louis XVI. Et je suis d'accord avec celui qui disait - j'ai oublié qui, un sage chinois sans doute - que se moquer de soi-même, c'est bien le commencement de la sagesse.

dimanche 18 août 2013

Une histoire de statues

   Oui, à Lumière les statues ne manquent pas. Les unes couronnées, auréolées d'étoiles, portées par les anges, même perchées sur une espèce de tour à créneaux. D'autres par contre, sont tout à fait simples, sans piédestal ni nuages, telle la charmante petite Vierge Noire de la crypte.
C'est dans cette dernière catégorie que se range la Vierge que l'on vient d'installer sur l'esplanade Jeanne d'Arc, dans un creux de rocher. Elle est à hauteur d'homme, on peut la voir de près, la toucher. Un vrai retour de la Vierge sur terre!... La communauté africaine de Marseille ne s'y est pas trompée, dont les femmes voulaient toutes se faire photographier à côté de Marie, comme pour une photo de famille.

   Le contraste est violent avec la statue voisine, celle de Jeanne d'Arc. Là, il faut bien lever le menton pour la voir là-haut, trois mètres plus haut, sur un imposant piédestal. Elle est là, (presque) aérienne, avec la tête (presque) dans les nuages.
   Au fond, n'était-il pas temps de rapatrier Marie sur notre terre? Pendant des lustres, on en a tellement fait une sorte de déesse-mère, une super-woman, qu'on en a un peu oublié la jeune fille de Nazareth, celle des évangiles et de la vie quotidienne en Palestine. Avec bonheur, le Concile Vatican 2 nous a encouragés à voir un visage plus "humain" de Marie. Marie des repas à préparer, Marie attentive à sa maison, inquiète pour son Fils, et surtout Marie vivant sa foi au quotidien: n'est-ce pas celle-là qu'on a appelé la première chrétienne?
   Cela n'enlève rien à la Vierge de Lourdes, celle des apparitions et des miracles; simplement cela nous rappelle peut-être que la foi n'est pas à vivre seulement à Fatima, à Notre-Dame ou sur la plage de Copacabana, mais qu'elle est rencontre quotidienne avec le Christ.

samedi 27 juillet 2013

Amalgames

Que dirions-nous si quelqu'un s'avisait d'assimiler tous les chrétiens aux lefévristes? On crierait vite fait au scandale, à l'ignorance, et bien sûr à l'inévitable a-mal-game si cher à nos politiques! Et l'on y verrait aussitôt la main perverse des franc-maçons, un coup tordu des laïcards que sais-je?

Et pourtant, n'est-ce pas ce que nous faisons trop souvent en assimilant tous les musulmans aux salafistes? D'un côté nous poussons des cris d'orfraie quand on nous touche, mais de l’autre nous mélangeons allègrement, prêtant une oreille complaisante à la xénophobie de l'extrême-droite.

Cette façon de faire entraîne deux conséquences:
1° la joie des salafistes qui, comme toutes les minorités, font plus de bruit que la majorité modérée, mais prétendent ETRE l'islam... Trappes: que s'est-il passé? Une réaction si bien organisée était-elle spontanée? Ne dit-on pas que, dans les cités de la ville, les salafistes rackettent les commerçants musulmans? Rappelons-nous que ces extrémistes ont été très content de la loi sur le voile. Cela leur a permis de se montrer, de crier à la croisade, à la persécution etc...
2° la déconfiture des musulmans modérés qui, à l'instar de Mme Dounia Bouzar, ne cessent de dénoncer les fondamentalistes de banlieue. Quand nous faisons l'amalgame en criant contre l'islam, nous poussons ces modérés dans les bras des extrémistes, car ils se sentent persécutés, incompris, rejetés; les voilà tout à fait prêts à verser dans le communautarisme et le rejet des "autres".
Voilà ce qui se passe quand nous les chrétiens, nous ne réfléchissons pas plus loin que la statue de Jeanne d'Arc.

Restent bien des interrogations et des problèmes, que seuls les musulmans peuvent résoudre. Par exemple: où est le terreau des salafistes? Qui tire les ficelles? Qu'est-ce qui les fait vivre? Entre autres, je vois deux racines importantes de cet extrèmisme qui se dit musulman:
1° les monarchies du Golfe. Même si l'islam politique semble en perte de vitesse en Egypte, en Tunisie, voire en Iran, ailleurs il reste le jouet des luttes chiites-sunnites pour l'hégémonie aux Proche et Moyen Orient. Hégémonie religieuse peut-être, hégémonie politique sûrement. Les monarchies du Golfe utilisent le fondamentalisme, le financent, pour étendre leur influence... J'espère me tromper, mais est-ce que je me trompe?
2° deuxième terreaui favorable: la quasi-absence de la critique des "textes sacrés" de l'islam. Dans l'Eglise, l'exégèse et la critique de la Bible sont devenues de véritables sciences, qui nous ont permis, sinon de démonter, du moins de marginaliser les tentations de fondamentalisme. Tant que l'islam n'aura pas entrepris ce travail, tant qu'on se contentera de hurler contre les Salmam Rushdie, ou de fusiller des gamins de 15 ans pour "blasphème", d'enfermer les femmes dans leur niqab, on continuera de défigurer une religion respectable, et qui garde une place majeure dans le monde.

Aidons les musulmans modérés, et ils nous aideront.

samedi 13 juillet 2013

L'Histoire bégaie

Inutile d'être grand clerc pour remarquer les multiples ressemblances entre ce qui se passe dans le monde musulman aujourd'hui, et ce que l'Eglise (catholique) a vécu autrefois chez nous. On a l'impression que les crises qu'elle a traversées, les rejets qu'elle a essuyés, les luttes qu'elle a suscitées, se retrouvent dans l'islam contemporain, qu'il soit sunnite ou chiite. Bien sûr il y a des différences notables, il ne faut pas pousser le fil à plomb pour dire que le mur est droit. Mais les similitudes sont d'autant plus frappantes. Voyons plutôt.

Pendant des siècles, il eut connivence entre l'Eglise et le pouvoir politique. Chacun y gagnait... L'Eglise pouvait régir la chrétienté, fût-ce en faisant appel au bras séculier, et de son côté le pouvoir était tenté d'instrumentaliser la religion pour se sacraliser et maintenir l'unité du royaume. A l'intérieur de l'Eglise, les clercs donnaient le ton, le sabre s'alliait avec le goupillon, et l'on sait la place que tenait le haut clergé auprès des princes.... Le temps n'est pas si loin où excommunication était synonyme non seulement d'exclusion, mais parfois de menace pour la vie de l’intéressé. A l'image des fatwa lancées par le pouvoir islamique, et qui attirent non seulement les hurlements de haine, mais les condamnations à mort.

En islam sunnite, il n'y a pas de clergé, mais la charia. Alors que le clergé chiite est au pouvoir en Iran. Un pouvoir étouffant et souvent féroce à ce qu'on dit. C'est un pouvoir totalitaire, convaincu que l'islam ne peut se maintenir que s'il est aux commandes du pays. Dans l'Europe d'autrefois, la même conviction n'avait-elle pas cours, notamment au temps des guerres de religion?

Et puis, en Europe, il y eut le Siècle des Lumières, avec la montée des classes moyennes urbanisées. Avec elle, avec la Réforme, la liberté de conscience et la soif de liberté tout court aboutirent à la Révolution. Tout naturellement l'Eglise, assimilée à la royauté, fut sinon perséciutée, du moins poussée gentiment vers la sortie. Pour beaucoup, l'anticléricalisme eut un parfum de libération. Avec le retour des princes, l'Eglise tenta de reprendre la main. Mais il y eut la séparation de l'Eglise et de l'Etat, la laîcité à la française. Un état de fait largement accepté aujourd'hui, à part quelques nostalgiques d'un retour à la Chrétienté.

Ce que je dis là frise la caricature, mais l'évolution générale ne fut-elle pas celle-là? N'est-ce pas la même évolution que l'on constate aujourd'hui dans le monde musulman? Le sens des multiples "printemps" n'est-il pas le même? Au départ, les révolutions ont réussi à chasser les dictateurs: Ben Ali, Kadhafi etc... Un peu partout, les islamistes ont tenté, et souvent réussi, de récupérer ces révolutions. Or, ce sont surtout les classes moyennes urbaines d'Egypte qui se sont rebellées et ont  organisé, motivé, entrainé les populations. Ce sont elles, les "laïcs", qui tentent de reprendre la main. Les échecs ne manquent pas, telle la révolte contre la théocratie iranienne; et le soupçon qui pèse sur les milices islamistes en Syrie. Mais la soif  de liberté et la réaction contre le pouvoir politico-religieux ne peut s'éteindre.

Un fait significatif: vient de paraître une revue, "Noor" (la lumière) qui se présente elle-même comme voulant promouvoir un "islam des Lumières"!... Mais nous sommes au milieu du gué! Depuis un siècle, les chrétiens se sont attelés à l'étude critique de leurs "textes sacrés". Et le Concile a donné à l'Eglise un nouvel élan, plus évangélique. Je suis certain qun l'islam arrivera un jour ou l'autre à une étude critique du Coran, même si le sujet est encore tabou aujourd’hui. De même, si actuellement le soufisme - l'islam mystique qu'ont rencontré les moines de Tibhirine - n'a pas le vent en poupe, loin de là, n'est-il pas la voie vers un islam plus intérieur, plus tolérant, moins figé sur ses hadiths? Personne ne peut dire comment cela tournera, mais l'évolution parallèle christianisme-islam, avec quelques siècles de distance, permet d'espérer que le vent, et l'Esprit, soufflent du bon côté. Souvent, l'Histoire aime bien bégayer.

mercredi 12 juin 2013

Rouen

Il pleut à Rouen? Pure légende, je vous dis. Bon d'accord, de temps en temps le soleil est un peu gris, mais c'est fugace. Et puis Rouen, qu'il fasse beau ou pas, est une ville vivante. Il y a la Seine qui se tortille en traversant la ville, et il y a les gens...
Je me tourne surtout vers la Rouen chrétienne, car c'est elle surtout que j'ai cotoyé. Depuis le recteur de la basilique de Bonsecours à l'accueil chaleureux, légèrement blagueur, avec une voix qui porte comme la voix de tout recteur de basilique qui se respecte, jusqu'au préposé de la Poste à l'accent grasseyant comme le beurre local. Même le nonce apostolique s'y est laissé prendre lors de la dernière fête, risquant quelques blagues dont, paraît-il il est coutumier.

Rouen, c'est aussi la cathédrale, une merveille de dentelle gothique, fort bien restaurée après les dégats de 1944. De jour c'est beau, mais de nuit c'est encore mieux quand d'astucieux jeux de lumière transforment l'édifice, l'espace d'une  demi-heure, en champ de coquelicots ou de nymphéas impressionnistes.

C'est vivant: le dimanche matin, nous étions à St François d'Assise, une église des Hauts de Rouen où des vitraux en dalle de verre louent notre Soeur Terre et le Frère Feu. Une célébration méticuleuseement bien réglée par le neveu Romain qui officiait, très à l'aise dans cette liturgie suivie à la lettre, souriant à tout le monde, attentif à la petite vieille dame comme à la gamine du quartier, tout en guidant une nuée de servants d'autel très à leur affaire. Et avec ça une joie et une foi contagieuses, qui se lisait dans les yeux des jeunes et des enfants.... On sentait que les gens étaient heureux d'être là. Et moi je me mettais sans peine dans la peau du vieux Siméon qui murmurait :"Maintenant Seigneur, tu peux me laisser m'en aller (pas trop vite quand même), car j'ai vu que les jeunes ont fort bien pris la relève."

Mais Rouen, c'est aussi le contraste entre la vallée de Seine industrieuse, populaire, et les Hauts de Bihorel et de Mont St Aignan, plus cossus, assez futuristes avec l'université. Une université, je ne sais pas pourquoi, ça a l'air perpétuellement tout neuf.

Rouen, c’est enfin l'Armada, ces dizaines de grands voiliers qui viennent mouiller aux quais de la ville. Je ne les verrai pas, mais je sais que l'Armada ne fera qu'ajouter au charme de cette ville, en y ajoutant une note de grand large bien sûr.



samedi 4 mai 2013

Hé Thomas!

On a de ces marottes... Depuis un moment, je me sens attiré par les hommes et les femmes de la Résurrection. Ceux et celles qui ont "fait" la Résurrection, dans le même sens que ceux qui ont "fait" le Mont Blanc. J'ai essayé de me mettre dans la peau de Pierre, j'ai contemplé Marie-Madeleine pleurant (elle pleurait comme une madeleine), j'ai surfé un peu plus vite sur St Jean, j'ai été emballé par les pèlerins d'Emmaüs... Mais c'est Thomas qui m'a retenu.

Pourquoi St Thomas? Parce que c'est mon chouchou. Comme le prof de maths au collège avait ses chouchous (ce n'était pas moi, évidemment). Mais j'aime bien St Thomas, parce qu'il me ressemble trop. Et puis Thomas, c'est un peu le monsieur-tout-le-monde de la foi.  
Il voulait des signes, il en a eu! Entre nous, les autres apôtres auraient bien voulu toucher les plaies du Christ. Mais pour Thomas, cela a été comme une illumination, un flash de certitude. Un moment in-descriptible, au sens propre... St Paul est tombé de son cheval sur le chemin de Damas, Thomas est aussi tombé de son cheval, mais au figuré! Il est tombé de sa suffisance: "Si je ne vois pas etc..." Le Christ l'a illuminé de l'intérieur, et il n'a pu que crier, ou murmurer on ne sait pas :"Mon Seigneur et mon Dieu!"

Je crois que beaucoup, pas tous, sont appelés à avoir la même illumination. Pensons à François d'Assise, Pascal, Claudel. Quelqu'un a dit, je ne sais plus qui :"Être chrétien, c'est vivre un bref instant d'illumination, et y rester fidèle toute sa vie." C'est ça! C'est tout à fait ça! Évidemment, le problème est de rester fidèle, ensuite.

Cette illumination peut arriver à tout âge. A 17 ans pourquoi pas? Mais j'ai connu un syndicaliste à Usinor-Dunkerque, qui avait eu le coup à 40 ans. Il était devenu militant ACO (Action Catholique Ouvrière), et quel militant!

L'essentiel est de chanter un instant, fût-il fugace, un petit air de Résurrection.

lundi 15 avril 2013

Souvenirs de guerre

Je ne résioste pas au plaisir de vous transmettre ce récit de Guy Deswarte, un grnad ami dunkerquois qui a grandi à la ferme de la Grande Mare, limitrophe de la frontiètrr belge. Ce récit rappellera aux dunkerquois de ma génération, quelques "heures fortes"!

Bray-Dunes le mercredi 6 septembre 1944

J'ai treize ans.
Depuis quelque temps, les allemands, troupe de soldats âgés, étaient aussi démoralisés que nous étions heureux du débarquement et de l'avance des troupes alliées. Les "fridolins" ont quitté la ferme de la Grande Mare hier, à notre grand soulagement. Pas d'école ce matin, donc heureux! Nous sommes tous excités et joyeux, et attendons avec impatience notre libération, d'un moment à l'autre.

Vers 17 heures, un Bray-Dunois arrive en courant nous annoncer que des canadiens sont arrivés sur Adinkerque et la Belgique, et se sont installés dans un blockhaus situé sur une dune belge, à 1 km de la ferme. Nous nous précipitons avec des jumelles et les voyons à découvert. Tout le monde saute de joie et nous nous voyons déjà libérés. Il faut très beau et nous restons palabrer sur le pas de la porte, discutant de cette guerre qui se termine par la victoire certaine des troupes alliées.

Le jour décline quand il nous semble, tout à coup, entendre un bruit de pas cadencés qui nous rappelle des souvenirs désagréables de bottes allemandes. Et c'est effectivement une compagnie de ces hommes, que nous n'attendions plus, qui s'avance dans la cour, devancée par un jeune officier au regard inquiétant. Il annonce à papa qu'il vient prendre tout le bétail, chevaux et vaches que ses hommes emmèneront! Par réflexe, mon père lui demande un bon de réquisition, qu'il n'a pas. Et devant son insistance, énervé, l'officier sort son révolver et le menace. Mon père lui demande alors de pouvoir au moins l'accompagner pour obtenir ce qu'il demande, et l'allemand accepte. Nous craignons pour la vie du papa, et attendons inquiets son retour.

Il les accompagne donc vers le village de Bray-Dunes, qu'ils traversent pour se retrouver dans une ferme amie, les Janssen, tout à l'ouest où les bêtes sont regroupées et mises en pâture. Attendant son bon de réquisition, parlant couramment l'allemenad du fait de sa période d'occcupation en Allemangne en 1920, papa entend des officiers discutant des ordres de résister coûte que coûte dans Dunkerque et d'en faire un camp retranché. Le bon en main, il prend la route du retour, retrouve les allemands, prévenus de son retour, cachés dans les haies, et les quelques pièces d'artillerie camouflées, dont il repère les emplacements.

Nous dormons mal et papa, devant le danger, a décidé d'éloigner sa famille. Loin du village, nous ne savons pas que les allemands ont décrété le couvre-feu. Il veut donc m'envoyer en éclaireur chez notre oncle, Jules Gallon, agriculteur aux Moeres belges, en passant à travers champs. En partant, nous sommes très étonnés de trouver une partie des terres légèrement inondées, et le spectacle de cette eau d'où émergent les pieux "rommel", posés par les allemands pour empêcher les planeurs d’atterrir, est surréaliste. Papa sait déjà que les allemands auront ouvert et bloqué les écluses de Nieuwport, et que l'eau de mer se sera écoulée à marée haute dans ces terres inondables par le canal de Furnes qui déborde.

Au départ, pas de problème, mais dès que nous avons quitté l'abri de la ferme, les allemands qui ont installé un canon sur la dune du Calvaire de Bray-Dunes, nous ont repérés, et nous entendons le bruit du tir d'une pièce d'artillerie. Un obus éclate dans l'eau, à 100 mètres de nous dans une gerbe d'eau. Des éclats sifflent et nous pressons le pas. Aux tirs suivants, nous nous cachons derrière le pieux le plus proche. Papa, toujours très calme, chante à tue-tête piour nous rassurer.

Arrivés au canal de Furnes que je suis censé traverser sur un bac, nous le trouvons coulé... Papa me dit alors de traverser à la nage, ce que je fais, vêtements sur la tête. Arrivé au milieu, j'entends un nouveau tir, oublie mes vêtements et nage en vitesse, la trouille au ventre, pour me mettre hors de portée en conterbas, à l'abri. Je me rhabille, trempé et me mets à courir, haletant et en larmes, pour rejoindre la ferme St Thomas. J'entends encore quelques tirs et pense à papa, poursuivi, et à ma famille. Toutes les routes des Moeres sont plus élevées que les terres, donc sèches. Mais les terres sont légèrement inondées. C'est bien la preuve que les allemands résisteront dans Dunkerque. J'arrive à bon port pour annoncer l'arrivée de la famille.

Les canadiens attaquent le lendemain, et prévenus du lieu où se trouvent les canons et les nids de résistance, traverseront rapidement le village. Mais ils seront arrêtés au-delà de la route de Ghyvelde à Bray-Dunes, qui restera le no man's land pendant toute la durée du siège de Dunkerque....

Jour après jour, l'eau salée rentre dans les terres et envahit les Moeres. Les 4 écluses ont été ouvertes par les allemands. C'est le meilleur moyen de défense pour les enfermés de Dunkerque, comme en 1914. L'eau monte encore et la cour de la ferme, pourtant plus haute, et petit à petit noyée. Nous entendons le canon de temps en temps, voyons les explosions, et s'abattre une à une les cheminées de l'usine des Dunes. Là où nous sommes, nous ne risquons rien de cette guerre si proche, au milieu de cette mer qui se forme. Un jour pourtant, le vent du N.O. monte, et les vagues se forment, butent contre les bâtiments, passent au-dessus du mur du jardin en vagues énormes. Tiendront-ils longtemps?

Des nouvelles nous viennent par un commerçant blege de la frontière qui a pu encore nous rejoindre, chaussé de bottes. L'eau monte toujours. Pour accéder à l'habitation, il y a un escalier double à 2m de hauteur. Tous les autres bâtiments sont inondés. Pour aller chercher les oeufs et nourrir les quatre chevaux, j'uilise un madrier pour me déplacer avec un morceau de gouttière en guise de rame. Cela ne gêne pas un gamin intrépide de treize ans, qui ne voit guère le danger.

Mais il faut fuir et mon oncle prépare les chariots qui nous emporteront. Un mètre d'eau recouvre les routes qui doivent nous conduite à Burlskamp et Hondscoote. Les chevaux ont de l'eau jusqu'au poitrail, et pour les diriger, seuls émergent les arbres du bord de la route. Nous arrivons à destination, "sauvés des eaux"!

Comme vous le savez, le siège de Dunkerque durera 9 mois...


jeudi 7 mars 2013

Infra-optimisme et méta-pessimisme

Voilà deux mots qui ne veulent strictement rien dire, mais qui m'enchantent. Car ils reflètent parfaitement mes états d'âme face à ce pape qu'on va élire. Je ne suis ni optimiste ni pessimiste, j'ai envie d'être indifférent... Une sorte de blues. Non pas que le sujet ne me concerne pas, mais au vrai, je n'attends pas grand'chose de cette élection. Un pape conservateur en sortira, à moins que l'Esprit saint ne nous réserve une de ses blagues favorites.

Alors que... "Alors que" n'est pas très français, mais je ne suis pas regardant quand ma bile déborde. Car enfin, il y a à Rome une Curie qui est en passe de devenir la risée du monde entier. Une assemblée de vieillards cacochymes qui n'a qu'un horizon: que rien ne change dans l’Église... Je ne fais pas dans la nuance, il faudrait y voir de plus près. Ils ne sont pas tous cacochymes, ni tous imbus de leur romanité. Mais en gros, il faut dénoncer un pouvoir abusif qui s'abrite derrière une papolâtrie d'un autre âge.

Le Concile avait révélé la force, la pertinence des conférences épiscopales, leur sens pastoral, leur ouverture au monde. Mais dès que chacun fut rentré dans son diocèse, les rats regagnèrent le navire romain, et voilà!

Optimiste? Pessimiste? Il faut en tout état de cause appuyer sur l’extrême urgence d'une décentralisation de l’Église, d'une mise à la raison de la Curie - et de façon permanente - par les conférences épiscopales. On nous dit que le Pape est garant de l'unité, mais pour le moment c'est l'unité de Rome avec Rome. Que fera le nouveau pape?

lundi 28 janvier 2013

inquiétudes

Je suis inquiet. Nous sommes inquiets; tout le monde est inquiet.
Inquiet: un mot qui veut dire: pas-tranquille. Tout le monde n'est pas tranquille, à part les marmottes et les ours;  et encore, seulement quand ils hibernent.

Il y a de petites inquiétudes, par exemple, quand je vois que je suis le seul à ne pas prendre de comprimés parmi mes commensaux, je me demande... Bon, ce n'est pas grave.

Il y a des inquiétudes moyennes, par exemple l'avenir de l’Église. C'est un peu plus grave.

Et il y a des grosses inquiétudes, car elles courent le monde, disparaissent ici, renaissent là, toujours menaçantes. Entre autres, le terrorisme "religieux". On a bien fait, très bien fait, d'intervenir au Mali; ce n'est pas une emplâtre sur une jambe de bois, c'est un coup d'arrêt très sérieux porté au fanatisme, avertissement pour les uns, encouragement pour le reste du monde.
Mais je suis tout à fait d'accord avec Mr Hosni Abidi qui, dans une récente émission de C dans l'air, affirmait: " Tant qu'on n'aura pas agi sur les racines de l'islamisme, on aura toujours du terrorisme. Or, ces racines sont en Arabie Saoudite et au Qatar, dans le wahhabisme et le salafisme.*
Ainsi, disons-le: les aladji camerounais ou nigérians (pèlerins revenant de la Mecque), qui envoient leurs fils étudier en Arabie Saoudite, sont directement responsables de la montée du fondamentalisme dans les mosquées de Maroua et de Maïduguri. Même s'ils s'en lamentant.

Comment agir pour que ce choléra cesse de se répandre, aidé par quelques pétrodollars? Cela, c'est une autre affaire; pour le moment, on constate que les pays occidentaux, en particulier la France, font de très bonnes affaires bien juteuses là-bas.

Inquiétudes, petites ou grandes, mais espérance quand même. Or ça, partageons la dernière phrase du beau Credo de Dom Helder Camara :"J'ose croire au rêve de Dieu même: un ciel nouveau, une terre nouvelle où la justice habitera."

mardi 1 janvier 2013

Tel un aigle...

Oui, tel un aigle planant sur la garrigue, je plane au-dessus du monde en le contemplant d'un œil perçant et perspicace....
Pas mal comme introduction. On dirait du Victor Hugo. En fait, c'est un tout petit survol de ce qui se passe et qui m'étonne, ou m'amuse suivant le moment.
Le mariage gay par exemple. Je n'entre pas dans le débat, je plane. Il y a des gens qui réfléchissent, des deux côtés, et qui ont des arguments pesés, motivés, valables. Des deux côtés. Et puis il y a les médias, parfois bons, parfois experts en débats pipés. Alors là, ce ne sont plus des arguments échangés courtoisement. Non, on "joue le bonhomme" et - honteusement - on flatte l'inconscient collectif. Dès lors, il suffit qu'un catholique ouvre la bouche, même sans dire qu'il est contre, et on l'envoie sans délai dans l'enfer des attardés, des ringards; pour tout dire, des ennemis du Progrès. Alors tout est dit. Comme l'écrit Jean-Claude Guillebaud dans La force de conviction, en étant contre, on commet un sacrilège contre la religion Progrès! Qu'avons-nous  besoin d'autres avis pour condamner sans plus d'examen ce pendard?

Le commerce aussi, fin renard, connaît bien son monde. Pour faire vendre, on n'écrit pas sur le paquet de lames de rasoir "Mieux", car cela sentirait la concurrence déloyale, mais on inscrit "Nouveau", et cela suffit. La religion Progrès comptera une foule de glabres fidèles en plus.

Est-ce un mauvais procès que je fais là? Je n'en sais rien, je plane...