Qu’est-il arrivé à Robert Mugabé, le potentat du Zimbabwé sorti l'an dernier par un putsch militaire ? De militant pour l’indépendance de son
pays, tout donné à « la cause », ayant passé dix ans dans les prisons
du pouvoir blanc, il s’était mué peu à peu en tyran sanguinaire ! Après
avoir affronté la mort pour lui-même, il avait imposé la mort aux autres, et ce
pendant des années ! Au début, il croyait que pour vivre il
fallait accepter de mourir. Ensuite, il a pensé que pour vivre, il fallait
faire mourir les autres.
Que s’est-il passé ? C’est un cas extrême, mais
typique : le don de soi du jeune Mugabé s’est mué peu à peu en recherche
de soi, du pouvoir à tout prix. Comme quoi tout engagement pour les autres peut
se pervertir… Dans la Bible, le diable manie la soif de pouvoir avec beaucoup
de savoir-faire !
La lutte de Mugabé pour libérer son pays fut-elle gangrenée
dès le départ par une ambition démente ? Nous ne savons pas. Toujours est-il
qu’à l’instar du dictateur, on peut utiliser son propre dévouement comme une
échelle pour parvenir à la gloire, à l’admiration des autres. Bien sûr, dans le
don de soi il y a le désir de se réaliser, de donner un sens à sa vie, c’est
normal. Mais quand la soif de réussir prend le pas sur l’amour sans calculs,
alors casse-cou !
D’accord nos engagements ne sont jamais chimiquement purs, il
y a toujours un peu de recherche de soi, de recherche de l’estime de soi. C’est
pourquoi il est très nécessaire de s’arrêter de temps en temps, de s’asseoir
pour faire le point : « Pour
quoi suis-je envoyé ? Est-ce que
cela me rend heureux ? Est-ce que je cours trop ? Et la place de la
prière là-dedans ? »
J’ai connu des personnes qui agitaient leur dévouement comme
un drapeau, un peu à la manière de St Paul. Il faut relire l’étonnante
énumération en 2 Cor11/23-26. Cela me
gêne de dire cela, car il ne faut pas décourager les bonnes
volontés. Mais dans l’engagement, le facteur temps est important. D’ailleurs,
si ton engagement connaît des difficultés, si tu es contesté, que cette
contestation dure, et que tu tiennes le coup sans fla-fla, discrètement mais
avec obstination, c’est signe que ton engagement est vrai.
Pour que le don reste authentique, il faut sans cesse se
remettre en question, surtout au moment où tu es appelé à prendre de plus
grandes responsabilités. Rien de pire que les « fonctionnaires de la
bienfaisance » et les don Quichotte du dévouement. Non, il ne faut pas
encombrer les autres avec notre bonne volonté. Et là, nous arrivons à un autre
mystère. S’il te faut garder humilité et humour dans le don de toi-même, c’est
que ton engagement ne sera vrai que s’il envisage la mort. Voilà : jusqu’à
la mort.
Sinon rien.