mardi 9 juin 2020

5. Mais il y a ce vieux Job.





            Bon d’accord. Dieu n’est pas responsable de la perversité des hommes. Pas responsable des bourreaux d’Auschwitz, pas responsable de la planète qui n’en peut plus ; ça, on a compris.
            
             Mais dites : l’enfant à qui le cancer donne un ton d’ivoire, à la Timone ? Qui a fait ça ? Et le tsunami, les tremblements de terre comme en Haïti, l’éruption du Pinatubo, qui en est responsable ? Les hommes ? Ils vivaient bien, ils étaient sympas, personne ne leur en voulait et d’un coup crac ! C’est la nuit, la mort.
            La faute à qui ? Qui va crier sur qui ? Marion Muller-Collart écrit : « Pour moi, je confesse que la douleur physique était pour moi une butée, un lieu de grand silence hermétique à toute parole, un lieu qu’aucune lumière  ne parvient à éclairer. »
            
           La Bible a très finement exposé le problème en racontant l’histoire de Job. Job est gentil, heureux, tranquille, et riche ! Et d’un coup il perd tout : récoltes, bétail, famille même. La totale ! Et le voilà sur son fumier, on dit bien « pauvre comme Job » ! Du coup, tout le monde cherche à comprendre. Et le soupçon monte... Les amis de Job lui serinent « Tu as dû faire une grosse bêtise pour que Dieu te punisse ainsi ! » Même sa femme au désespoir lui susurre : « Dieu t’a laissé tomber. Maudis-le, et meurs !»
            Alors Job, tout d’abord, crie son innocence. « Je n’ai rien fait de mal ! Alors, pourquoi ? » Mais ensuite, honteux d’avoir cité Dieu à comparaître pour une demande d’explication (en Afrique on dit une demande de complication), Job finit par s’incliner devant le mystère : « J’ai parlé sans savoir de mystères qui me confondent. Je mets une pierre sur ma bouche… »
            
             Voilà, nous en sommes là. Devant les pleurs de l’enfant malade, devant les furies de la nature, nous nous heurtons au mystère, et nous aussi mettons une pierre devant notre bouche. Ensuite, fort penauds d’avoir cherché à tout savoir, à tout comprendre, à tout expliquer, nous nous taisons et nous entendons le P. Varillon nous dire : « Le mal n’est pas fait pour être compris, mais pour être combattu. » Et, comme en écho, Marina Carrère d’Encausse raconte : « Le docteur n’en peut plus d’entendre cet enfant pleurer. Il sait que c’est dur pour elle, mais il est heureux que Fatimah soit là, dans un coin de cette chambre. Cette femme si généreuse, si attentive, va aider cet enfant et sa mère à franchir le cap. Et Fatimah se penche vers l’enfant, pose une main sur sa poitrine. Puis elle regarde sa mère et dit : « Aimons-le. » C’était « aider » qu’elle voulait dire, mais « aimer » lui a échappé. (Une femme blessée p 103).
            
             Nous chrétiens, nous tenons deux choses devant la souffrance : le mystère, et la volonté de se battre. Et là, nous rejoignons tout simplement notre foi au Christ. Nous disons avec Paul Claudel, ce lumineux : « Dieu n’est pas venu supprimer la souffrance, ni l’expliquer, il est venu la remplir de sa présence. »
            Oui Jésus a habité la souffrance des hommes et son mystère. C’est le mystère de l’Ecce Homo.