4. La Mission: se
battre.
Pourquoi laisser le monopole de la lutte sociale aux
syndicats? A force d'affirmer que la religion est une affaire privée, on en
oublie que le travail du chrétien est aussi d'aider les sociétés, les
civilisations, les cultures, à se mettre toujours plus et mieux au service de
l'Homme et de tous les hommes. Si un
jour par malheur nous oubliions de lutter contre l'injustice, nous
serions infidèles à notre Evangile et au Dieu des prophètes.
Cela revient à dire que la Mission n'est jamais un long
fleuve tranquille! Elle exige de nous des réserves d'indignation énormes, comme
disait Mr Wiesel. Elle suppose que nous dépassions nos peurs, comme l'ont
dépassé le pape François et ces courageux prêtres italiens qui osent affronter
la mafia et la ndranghetta.... Au Nord-Cameroun, des responsables étaient venus
chez le sous-préfet de Méri, protester
au nom des paysans. Ce monsieur voulait obliger les gens à tresser des nattes
qu'il irait revendre ensuite au Tchad pour son propre compte. Interloqué par la
démarche des responsables, l'administrateur demande :"Qui vous paie pour venir ici mettre
le désordre?" Et eux de répondre :"Personne ne nous paie. Mais dans notre livre c'est écrit que personne
ne doit écraser les pauvres." Réponse imparable, que le sous-préfet ne
put parer!
La lutte pour la justice fait partie du ministère du prêtre.
Elle fait partie de la Mission de tout chrétien. Au Nord-Cameroun, les Comités
Justice et paix marchaient très fort. Ici ils travaillaient à l'apaisement de
conflits ethniques après des pogroms en ville; là, ils aidaient une veuve à
gagner son procès contre un groupe de spoliateurs (un Procureur de la
République faisait partie du groupe!). Les officiels et autres grands étaient
parfois bien embêtés. Ils auraient préféré que nous ne dépassions pas la porte
de la sacristie, que nous nous bouchions les oreilles pour ne pas entendre les
cris des spoliés, des violés, des rançonnés, des écrasés. Non, la vie d'un
disciple du Christ n'est jamais un long
fleuve tranquille!
Si les Etats se soucient de mieux en mieux du respect du
Droit, tant mieux. Tant mieux si le respect de l'autre gagne chaque jour du
terrain sur la violence. Mais ce n'est pas gagné, et nous avons du pain sur la
planche, nous chrétiens, pour lutter avec les hommes de bonne volonté contre la
corruption, pour dénoncer le tout-marché, pour parler au nom de ceux qu'on
empêche de parler.
Nous ne sommes pas des anges, loin de là! Alors commençons
par nous battre contre notre propre injustice. Ici, à l'intérieur de l'Eglise,
au sein même de nos familles et de nos entreprises. Souvenons-nous que Las
Casas, Gandhi, Martin Luther King font partie du patrimoine de l'humanité tout
autant que don Helder Camara, que le P. Popiélusko. Mais ceux-là ont eu d'abord
un impact énorme sur leur propre peuple, sur leur propre Eglise. Oui, la lutte
fait partie de la Mission. Mais comme Gandhi, regardons plus loin que la défense
des opprimés. Pour le "bapou" indien, il s'agissait en
définitive, de gagner le cœur des oppresseurs...
Encore une fois, nous retrouvons le coup du sel de
l'Evangile. Après tout, Jésus n'a pas dit :"Vous êtes le sucre de la terre" mais "Vous êtes le sel."