mercredi 9 décembre 2015

Pourquoi partent-ils?

Parler du djihad peut devenir lassant. Dès qu'on ouvre un journal ou une revue, on n'y coupe pas... Pourtant il n'est pas défendu de chercher. Chercher pour comprendre ce qui nous arrive.
Pourquoi tant de jeunes gens partent faire le djihad, au Moyen Orient, au Nigéria, dans le Sahara, voire en Malaisie?  Il me semble que l'on peut distinguer trois types de motivations.
1° il y a ceux qui vont juqu'au bout du salafisme.
2° il y a ceux qui cherchent à se sortir de la pauvreté.
3° enfin, ceux qui, hors de toute religion et de toute question d'argent, trouvent dans le nihilisme un sens à leur vie... et à leur mort.

1° D'abord, ceux qui vont au bout du salafisme. De plus en plus, des voix s'élèvent pour désigner le véritable coupable de la barbarie islamiste: l'Arabie Saoudite, le Qatar. Comme l'écrivait Sophie Bessis et Mohamed Harbi dans le Monde du 18 novembre, tant que les salafistes feront la loi dans ces pays, le djihadisme ne cessera pas. Et Eric Geoffroy dans son livre Le Soufisme page 75, précise :"Les wahabbites... sont réfractaires à toute dimension intérieure de l'islam. L'Etat saoudien n'a pas hésité à promouvoir cet islam sec et fruste."... Au Nord-Cameroun et au Nigéria, il faut relever la sottise des notables musulmans qui envoyèrent leurs fils étudier à Médine, pour les voir revenir salafistes convaincus et soutiens de Boko Haram.
De l'extérieur de l'islam, que pouvons-nous faire pour contrer le salafisme?
Encourager bien sûr les intellectuels musulmans qui, parfois au péril de leur vie, contestent une lecture fondamentaliste du Coran et des hadiths. Mais encourager aussi et surtout les musulmans à une véritable conversion à l'intérieur même de leur religion. Rappelons ce que Christian Salenson aime répéter :"On ne se convertit pas à une religion, on se convertit à Dieu."
Il s'agit bien d'une conversion intérieure et à l'intérieur de l'islam. Sortir d'une vision théocratique de la religion pour entrer dans ce que le soufisme appelle "l'islam intérieur".

Il faut le dire: l'islam soufi, combattu violemment par les salafistes, est la religion de millions de sunnites, depuis ceux qui lièrent de profondes amitiés avec les moines de Tibhirine, jusqu'aux confréries sénégalaises, marocaines, moyennes-orientales. Le commandant Massoud était membre d'une confrérie soufi. On retrouve d'ailleurs cet islam intérieur aussi bien chez les chiites que chez les sunnites. Leur combat rappelle étonnamment les luttes de Jésus contre les docteurs de la Loi.

Au fond, nous demandons aux musulmans de faire le même effort que nous quand nous décidons de descendre à l'intérieur de nous-même et de notre foi. Accepter de "perdre" quelques jours de vacances pour entre en dialogue avec Dieu. Les sages et les penseurs soufis tiennent en islam le même rôle que les contemplatifs chez nous. Voilà comment, dans un premier temps sans doute, nous pouvons dépasser les imprécations pour essayer d'aider ceux des musulmans qui cherchent à sortir leurs jeunes d'un fondamentalisme primaire et stupide, pour se tourner vers l'intérieur de leur vie. Est-ce placer la barre trop haut?

2°Il y a ceux qui, au Nigéria et au sud du Sahara, n'ont pas d'emploi. Boko Haram leur semble un bon moyen de se sortir de la pauvreté, de se marier sans avoir à payer la dot.

3° dans le Monde du 25 novembre, un excellent article dénonce le nihilisme de bien des jeunes djihadistes. Ne s'agirait-il pas du même poison que le nazisme, ou - en remontant plus loin - que les anarchistes espagnols ou français du siècle dernier? Rien à voir avec la religion. Mais, n'est-ce pas la majorité des jeunes djihadistes qui versent là-dedans? Que faire pour eux? Les entreprises de dé-radicalisation font du bon travail. Mais en même temps, ne faudrait-il pas un autre Serge Klarsfeld pour poursuivre et punir les boutefeux de cette horreur?

Quand les Emirats, l'Arabie Saoudite, l'Iran et tant d'autres pays se décideront-ils à suivre l'exemple de la Tunisie dans sa marche vers la laïcité? En attendant, les innocents meurent...

mercredi 18 novembre 2015

6. La mission, chanter.





Même si tu chantes faux, tu chantes. Même si tu en as plein le dos du monde, des impôts, des embouteillages et du voisin avec sa tondeuse à gazon, tu chantes quand même. La Mission, c'est aussi cela. Il y a un petit passage de l'Evangile qui me fait toujours rêver :"A l'instant, Jésus exulte sous l'action de l'Esprit-Saint et dit :"Je te loue, Père, Seigneur du ciel et de la terre, d'avoir caché cela aux sages et aux intelligents et de l'avoir révélé aux tout-petits."(Luc 11/21)

"Il exulte": drôle de mot. Je suis toujours sidéré, littéralement "enchanté" par le chant obstiné du rossignol. Tu arrives, il chante; tu passes, il chante toujours; tu t'éloignes, il chante encore. Le rossignol "exulte".
Peut-être nous faut-il aussi de l'obstination pour continuer à chanter! Et pourtant, notre mission de chanteur est réelle, elle vient du cœur. Même si tu n'as pas trop envie, chante quand même!

Mais au fait, pourquoi chanter fait partie de notre mission? D'abord, prenons la voix de Jésus :"Je voyais Satan tomber comme l'éclair". Reconnaître le travail de Dieu qui fait des croche-patte au diable, c'est déjà notre mission. La louange fait partie de notre mission. Louer pour les sans-voix, louer pour la création. La louange n'est pas l'apanage des moines!
Et puis, le chant vient de notre espérance... Mais il y a chant et chant. On chante beaucoup à la messe du dimanche, mais avouons que parfois , cela tient plutôt des funérailles, et que le ton  contredit la chanson. On a l'impression d'entendre :"Jésus est vivant, hélas!!" Non, parlons des chants d'espérance, ceux qui réveillent, qui lancent en avant, en un mot des chants "missionnaires".
Pour que la Mission soit chant, il faut qu'elle soit dynamique, imaginative, attentive à l'air du temps si chargé souvent. La Mission doit être capable de créer du nouveau; c'est une chanson active, qui pousse à l'action, un peu à la manière des chansons de marins hardis à la manœuvre pour carguer les voiles ou hisser le grand foc: "Hisse et oh!"

On peut rêver... J'imagine une Eglise sortie du port, décoiffée, mais avançant, inventant de nouvelles formes de présence au monde qui change. Une Eglise à la fois vieille dame fière de sa Tradition multiséculaire et riche, et jeune comme ces filles en jean qui se lancent dans le monde pour en découvrir les trésors, la variété des ethnies, le foisonnement des fêtes et des coutumes.
C'est cette Eglise que j'ai découverte en France (oui, oui!)... A Lumière, nous recevions  chaque année, le MCR (Mouvement Chrétien des Retraités). Par définition, c'est une digne assemblée assez grisonnante. Mais ce n'est pas une Amicale d'Anciens Combattants! Ces retraités portent aussi l'espérance de l'Eglise, cela se voit sur leurs visages... Et, de passage à Lumière, il y eut aussi le pélé VTT, dont les jeunes se retrouvèrent à genoux, en adoration sur la moquette de la salle du Pétrin. Voilà l'Eglise, à la fois ancienne et jeune. Dans sa variété, elle chante son espérance. Elle chante face à un monde français parfois tenté par la morosité, le vague-à-l'âme.

Cette Eglise voit Satan dégringoler, elle lui refuse la victoire. Mais qu'elle ne se réjouisse pas toute seule. Elle doit porter aussi l'espérance du monde, chanter sa partition avec les non-chrétiens et les incroyants. Il y a eu récemment un "Sommet des consciences", suscité par Nicolas Hulot. Une réunion qui débattit du changement climatique, évidemment, réunissant une quarantaine de personnalités, religieuses ou non, venant du monde entier. Son but était de "faire bouger les choses au sommet". Voilà une espérance commune, qui a de quoi nous faire "exulter", comme le Christ voyant Satan se crasher.

mardi 13 octobre 2015

5. La Mission: se battre

En lien avec la Journée missionnaire mondiale, je continue à publier une série d'articles sur "la Mission". Articles qui ont dû servir de méditation sur RCF Vaucluse, récemment.



4. La Mission:  se battre.

Pourquoi laisser le monopole de la lutte sociale aux syndicats? A force d'affirmer que la religion est une affaire privée, on en oublie que le travail du chrétien est aussi d'aider les sociétés, les civilisations, les cultures, à se mettre toujours plus et mieux au service de l'Homme et de tous les hommes. Si un  jour par malheur nous oubliions de lutter contre l'injustice, nous serions infidèles à notre Evangile et au Dieu des prophètes.

Cela revient à dire que la Mission n'est jamais un long fleuve tranquille! Elle exige de nous des réserves d'indignation énormes, comme disait Mr Wiesel. Elle suppose que nous dépassions nos peurs, comme l'ont dépassé le pape François et ces courageux prêtres italiens qui osent affronter la mafia et la ndranghetta.... Au Nord-Cameroun, des responsables étaient venus chez le sous-préfet de Méri,  protester au nom des paysans. Ce monsieur voulait obliger les gens à tresser des nattes qu'il irait revendre ensuite au Tchad pour son propre compte. Interloqué par la démarche des responsables, l'administrateur demande :"Qui vous paie pour venir ici  mettre le désordre?" Et eux de répondre :"Personne ne nous paie. Mais dans notre livre c'est écrit que personne ne doit écraser les pauvres." Réponse imparable, que le sous-préfet ne put parer!

La lutte pour la justice fait partie du ministère du prêtre. Elle fait partie de la Mission de tout chrétien. Au Nord-Cameroun, les Comités Justice et paix marchaient très fort. Ici ils travaillaient à l'apaisement de conflits ethniques après des pogroms en ville; là, ils aidaient une veuve à gagner son procès contre un groupe de spoliateurs (un Procureur de la République faisait partie du groupe!). Les officiels et autres grands étaient parfois bien embêtés. Ils auraient préféré que nous ne dépassions pas la porte de la sacristie, que nous nous bouchions les oreilles pour ne pas entendre les cris des spoliés, des violés, des rançonnés, des écrasés. Non, la vie d'un disciple du Christ n'est jamais un  long fleuve tranquille!
Si les Etats se soucient de mieux en mieux du respect du Droit, tant mieux. Tant mieux si le respect de l'autre gagne chaque jour du terrain sur la violence. Mais ce n'est pas gagné, et nous avons du pain sur la planche, nous chrétiens, pour lutter  avec les hommes de bonne volonté contre la corruption, pour dénoncer le tout-marché, pour parler au nom de ceux qu'on empêche de parler.

Nous ne sommes pas des anges, loin de là! Alors commençons par nous battre contre notre propre injustice. Ici, à l'intérieur de l'Eglise, au sein même de nos familles et de nos entreprises. Souvenons-nous que Las Casas, Gandhi, Martin Luther King font partie du patrimoine de l'humanité tout autant que don Helder Camara, que le P. Popiélusko. Mais ceux-là ont eu d'abord un impact énorme sur leur propre peuple, sur leur propre Eglise. Oui, la lutte fait partie de la Mission. Mais comme Gandhi, regardons plus loin que la défense des opprimés. Pour le "bapou" indien, il s'agissait en définitive,  de gagner le cœur des oppresseurs...

Encore une fois, nous retrouvons le coup du sel de l'Evangile. Après tout, Jésus n'a pas dit :"Vous êtes le sucre de la terre" mais "Vous êtes le sel."

jeudi 17 septembre 2015

4. La Mission: donner sa vie.

Du kamikaze - kamikaze volontaire - à la mère de famille qui fait tout pour mettre le bonheur dans sa maison, la "lumière de la maison", comme me disait une algérienne, il y a un point commun: tous deux donnent leur vie. La manière n'est pas la même, la mystique n'est pas la même, mais c'est vrai: le kamikaze entre volontairement dans la mort, et l'on dit aussi que la maman "se tue" au travail. Alors? Le kamikaze donne la mort, la maman donne la vie, mais tous deux donnent leur vie.

La Mission tient, elle aussi, de cette mystique du don de soi, gratuit. C'est tout à l'honneur de l'Homme de pouvoir sortir du tout-marché tout-argent pour entrer librement dans le sacrifice de sa vie. Certains ricaneront, d'autres admireront. Peu importe, le fait est là: donner sa vie rapproche tout homme quel qu'il soit, du Christ donnant librement sa vie pour nous.
Après, bien sûr, il y a manière et manière! Mourir martyr c'est pas mal, et quand un jeune part en Mission, il a toujours en fond de tableau la perspective du martyre.... Mais disons-le tout de go: donner sa vie d'un seul coup c'est beau, mais ce n'est pas ce que Dieu nous demande d'abord. Il y a d'abord ces vies données chaque jour, ces vies qui poussent l'homme, la femme, l'enfant à sortir d'eux-mêmes pour aller vers les autres... Oui, le don de soi "à petit feu", quotidien, cela peut durer toute une vie. L'Eglise a bien compris cela qui canonise, ici une mère de famille exemplaire, là un frère coadjuteur jamais sorti de son couvent. Le martyre, ça se voit bien, le quotidien se voit beaucoup moins.

J'ai toujours devant les yeux ce vieux film "Un missionnaire". Au Gabon, un jeune père spiritain tente de s'opposer à un homme qui veut enlever une fille de force. Et toc! L'abbé meurt d'un coup de sagaie. Et son jeune confrère de s'extasier: "Merci Seigneur, un martyr de plus!"... Mais dans son dos le vieux missionnaire bougonne :"Ouais, et ça fait un de moins pour le boulot."
Oui, la vie du chrétien missionnaire est une vie donnée "à petit feu". Le problème alors est de ne pas reprendre d'une main ce qu'on a donné de l'autre! Parfois on commence en Robin des Bois et on finit en Chaussée aux Moines. C'est la vieille histoire que Jésus raconte en Luc 11/24-26, quand le diable revient chez l'homme qui a remis ses pantoufles et se replie sur son auto-satisfaction.

Qui a dit :"Le don de soi révèle la splendeur de l'amour de Dieu"???

jeudi 3 septembre 2015

3. La Mission: se laisser regarder.



Il y a cette chanson, à mon goût un peu trop "crémeuse", mais dont l'expression du refrain est belle :"N'aie pas peur, laisse-toi regarder par le Christ." Voilà peut-être le premier pas de celui qui veut entrer en Mission: se laisser regarder.

D'abord, se laisser regarder par le Seigneur. Cela veut dire quoi? On pourrait traduire : vivre dans la lumière, la face tournée vers Dieu comme l'enfant contemplant le soleil qui se lève. L'Evangile, surtout l'évangile de Jean, est plein de paroles sur la lumière, plein de paroles de lumière. Depuis St Augustin, notre Tradition est remplie de cet appel :"Tu es petit et pauvre. Laisse le Christ t'illuminer, laisse-toi habiter par le Christ". Elle fut l'expérience de St Paul après Damas: "Lorsque je suis faible, c'est alors que je suis fort" (Eph 12/10)...

De cet abandon, vient ton témoignage. Le témoignage d'un homme, d'une femme, d'un jeune que Dieu a regardé, que Dieu a transfiguré, et qui est ainsi appelé à refléter la lumière de Dieu. Ce que je dis là n'est pas pur romantisme. Il y a une aventure personnelle du missionnaire,  du chrétien missionnaire; cette aventure, même si l'on a souvent du mal à la mettre sous des mots, est toujours une rencontre avec Dieu, rencontre qui peut décider de toute une vie.
Bon d'accord. Mais le problème ensuite, c'est de continuer à vivre sous le regard de Dieu. On n'a pas trop de toute une vie pour se laisser regarder par le Christ! Ce n'est pas un abandon passif à la volonté de Dieu, c'est une lutte contre soi-même. Car souvent, ce n'est plus le "Laisse-toi regarder par Dieu", c'est "Seigneur, regarde-moi, comme je suis gentil!".  Mais  le regard d'amour  de Dieu sur moi, lui, ne se dément jamais.


Il y a autre chose: la Mission, c'est aussi "Laisse-toi regarder par les autres." Et là, c'est un peu plus rude! Parfois, de témoin crédible on passe au rang de témoin improbable! Car le regard des autres  est souvent exigeant,  voire impitoyable. Ils exigent du témoin de l'Evangile une réelle transparence... Voilà un joli mot bien actuel: la transparence. Que tu le veuilles ou non, comme témoin tu ne t'appartiens plus, tu es sous le regard de tous, un regard qui te demande de rendre compte de ta foi. Combien d'enfants admirent leur papa parce qu'ils le voient vivre! A sa façon, le papa est pour ses enfants, un témoin de Dieu par transparence . Un responsable d'entreprise est, qu'il le veuille ou non, scruté par son personnel. On le jugera sur tout: sa compétence, son esprit d'initiative et... sur la transparence de ses comptes.
Comme chrétiens, nous sommes témoins de notre rencontre avec Dieu, bien plus que sur la doctrine que nous proclamons. Témoins de la vérité de notre foi, de la qualité de notre espérance, d'un amour qui nous dépasse. Rappelons-nous le coup du sel bien salé et du sel pas salé de l'Evangile. Si tu t'affadis, toi le témoin, tu encourras la grogne des grognons :"Les chrétiens?  Pas meilleurs que les autres!"

vendredi 7 août 2015

2. La Mission, une rencontre.



On l'appelait l'agha Boughali. Un notable algérien au visage ouvert, fin lettré. Dans sa bibliothèque, la Bible précieusement reliée voisinait avec le Coran. J'aimais bien venir m'asseoir chez lui, une grande amitié nous reliait, ensemble nous refaisions le monde, moi le jeune et lui le noble vieillard.... J'ai retrouvé la même amitié sans fard chez Boukar, président des A.P.E.L. (Parents d'élèves de l'Enseignement Libre ) du diocèse de Maroua au Nord-Cameroun. Même maintien altier, même accueil affable, même ouverture d'esprit chez ce musulman bon teint.
Deux exemples qui me font dire que la Mission est rencontre. Une rencontre qui dépasse toute religion, rassemblant "dans l'unité les enfants de Dieu dispersés". On est bien, car on sent qu'on est dans le vrai; la vérité de deux enfants de Dieu qui se reconnaissent tels qu'ils sont au-delà de toute croyance, de tout système élevant forcément des barrières entre les hommes. Ces rencontres dépassent tout calcul humain, elles viennent de Dieu. C'est dans ce sens que je comprends  ce que disait Marcel Gauchet :"Le christianisme est la religion de sortie de la religion."

Le désir de la rencontre peut jalonner toute une vie, que ce soit avec les anciens des villages au Nord-Cameroun, jusqu'aux gens des cités à Marseille. Elle vient d'une conviction chrétienne, celle qui animait Jésus quand il "promenait son regard" dans le Temple, cherchant - du moins je me plais à le penser - cherchant qui rencontrer, à qui révéler ce qu'il avait sur le cœur, et  aussi à écouter  ce que l'autre avait sur le cœur. Ces rencontres, à chaque fois, provoquent le même émerveillement qu'éprouva Jésus devant la foi du centurion romain.
Le désir de la rencontre fait vraiment partie de notre mission, car elle vient du cœur et va au cœur.... On parle beaucoup d'œcuménisme, d'assemblées plénières, d'universités d'été, et on fait bien. Car peu à peu s'instaure une culture de la rencontre; je crois que ce désir anime profondément le pape François, lui qui, encore évêque de Buenos Aires , aimait visiter les paroisses des quartiers pauvres. Mais il se méfiait des "rencontres en chambre, qui manquent de contact physique avec les pauvres" (Encyclique Laudato si, p. 30).
Dans l'Evangile, il y a la parabole du filet qui ramasse les hommes pour le Royaume de Dieu. Je n'aime pas trop cette image du filet; elle a des relents de piège, de racolage forcé. Or Jésus rencontre des hommes et des femmes libres. Des hommes et des femmes qui viennent librement à lui, avec leur culture, leur art de vivre, leurs rêves, leur histoire. L'inculturation, ce mot un peu compliqué dont on parle tant aujourd'hui dans l'Eglise, c'est bien cela: une rencontre entre l'homme libre et l'évangile, entre le génie d'un peuple et la foi. Sans ce rendez-vous, il n'y a que croisade et évangélisation superficielle annonçant la double vie, le mensonge ... et la catastrophe.
Pour finir, disons qu'il faut faire attention à l'inattendu de Dieu. Sortons de nos schémas de chrétiens pratiquants, car Dieu peut nous rencontrer par surprise. Je pense à Patricia, cette jeune animatrice de rue avec qui j'ai bien travaillé à Marseille. Elle avait un sens des autres, une attention aux petits extraordinaire. Or, Patricia avait été formée par ... les Jeunesses Communistes.
J'ai rendu grâces pour Patricia.

vendredi 31 juillet 2015

la Mission, c'est sortir.

En lien avec l'Université d'été de la "famille mazenodienne" qui se tiendra à Pontmain  du 27 au 29 août prochains, nous commençons une série de réflexions sur "la Mission". Cette série sera diffusée bientôt sur RCF Vaucluse.

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1. La Mission, c'est sortir

            "Sortir": le mot a été mis à la mode par le pape François. La Mission, c'est sortir.
Oui, mais pour aller où? Pour faire quoi?... Pas d'abord pour prêcher qu'il faut se convertir, pas d'abord pour "annoncer la Bonne Nouvelle" comme on dit en langage d'Eglise. Mais d'abord pour rencontrer les gens, essayer de  comprendre ce qu'ils vivent, et même parfois  vivre avec eux, au milieu d'eux, comme eux. Quand les petites Sœurs de Foucauld partent à Calais, elles n'y vont pas avec la Bible à la main, elles y vont pour rencontrer les migrants qui s'accrochent aux camions. Elles sortent vers cette humanité qui souffre, pour s'asseoir avec ces gens qui veulent vivre à tout prix.
La mission du chrétien, c'est dehors. Pour tisser des liens. A Marseille et partout, il y a des pots de l'Amitié en bas des immeubles, et les chrétiens sont là. Au fond, on sort de chez soi, de son propre confort, pour faire un travail d'amour.
Quand on sort, on attrape des coups, forcément. On se heurte au mal, on a mal au monde. Alors là, sortir veut dire "crier avec ceux qui crient, pleurer avec ceux qui pleurent."... Il y a donc une manière chrétienne de faire la fête avec ceux qui sont heureux, et une manière chrétienne de s'asseoir avec le voisin atteint de leucémie, ou avec ce jeune qui se bat pour trouver du travail.
Au fond, face à la Mission, il y a deux types d'Eglises possibles. Il y a l'Eglise qui sent un peu la naphtaline. Une Eglise frileuse, uniquement préoccupée de ses problèmes internes, de sa liturgie, de sa théologie. Cette Eglise prend figure de citadelle assiégée, où le prêtre, du haut des remparts (de la chaire), tire à boulets rouges sur le monde et ses turpitudes.  Pour cette Eglise, pas besoin de sortir; à l'entendre, ce sont les autres qui doivent venir à elle. Ce sont eux qui doivent sortir du diable pour entrer dans la Vérité!
L'autre modèle d'Eglise, c'est l'Eglise  décoiffée par le vent du large, à l'image du regretté Laurent Bourgnon.  Cette Eglise cherche avec passion ce qui est bon dans le monde, elle s'en émerveille comme le Christ s'émerveillait devant la foi du centurion romain. J'aime bien le livre de Yann Arthus Bertrand :"Six milliards d'autres", où l'auteur arpente la Terre pour demander au mongol, à l'indien, à l'américain :"Et toi, que penses-tu du bonheur, de la douleur, de l'amour?"
L'Eglise-qui-sort pose les mêmes questions. Poussée par l'Esprit, elle cherche ailleurs où souffle le vent de Dieu; elle est attentive à ce que vivent les autres, tous les autres, pas seulement les chrétiens du coin. Cette Eglise est souvent sale comme dit François, car elle a mis les bras dans la misère humaine, et jusqu'au coude!
Sortir, c'est revivre l'Exode. Pas besoin d'aller en Chine pour cela. Témoin ce papa qui rentre à la maison, fatigué après une journée de travail. Il se carre dans son fauteuil avec un ouf de contentement, ouvre son journal et... une toute petite voix se fait entendre , venant du tapis  :"Papa, viens jouer avec moi." Et le papa laisse son journal, il "sort" vers son garçon pour jouer avec lui.

vendredi 12 juin 2015

De Katmandou à Mossoul.

Curieux rapprochement!  Qu'y a-t-il de commun entre le voyage au Népal et le départ vers l'Irak?...

Je pense que tous les indicateurs concordent: les jeunes chevelus qui partaient vers Katmandou autrefois, ont quelque chose de commun avec les jeunes barbus qui s'engagent aujourd'hui en Syrie avec Daesch. Chevelus ou barbus, tous cherchent une étoile. Je n'exagère pas! Les uns flirtaient avec le hasch, les autres caressent la kalach. Mais tous, au fond du fin fond, pensent avoir trouvé quelque chose qui donne sens à leur vie. Les uns (pas tous) voulaient un monde zen, où la méditation, le rêve, la vie près de la nature, sans contraintes, prenait figure d'idéal.
Pour les autres, ceux qui partent pour le djihad, on peut distinguer deux groupes. Il y a ceux qui croyaient partir "faire de l'humanitaire", et qui se retrouvent piégés là-bas. Ils découvrent - mais un peu tard - qu'on les a terriblement trompés. Ceux-là sont récupérables... s'ils ont gardé à la fois leur sens critique, leur foi dans la vie, et leur désir de se donner.
Quant au deuxième groupe, les fanatiques, on a abusé de leur ignorance en aliénant leur liberté au point d'en faire parfois des bombes humaines.

Je crois qu'il faut aller plus loin. Ces jeunes en quête de leur moi, de leur identité, en allant au djihad, rencontrent l'extrémisme. Un extrémisme qui, sous un vernis de fondamentalisme religieux, flatte leur désir de se singulariser, de s'affirmer par une différence forte avec le reste du monde. Un désir très adolescent d'exister en n'étant "pas comme les autres".
Dès lors, quête d'identité et extrémisme deviennent cousins. Et ce cousinage constitue un excellent terreau pour toute forme de violence et, à la limite, un terreau pour le terrorisme. Sans jeux de mots!
Force est de constater qu'actuellement, on assiste à un retour en force, à la fois de la quête identitaire et du fondamentalisme sous toutes ses formes: religieuses, nationalistes, voire régionalistes. Nul n'est épargné, depuis la Russie de Mr Poutine jusqu'aux extrême-droites françaises, en passant par les Tea Party américaines et... par une frange plus ou moins épaisse des chrétiens dans l'Eglise.
Oui, la lutte contre Daesch et autres Boko Haram passe aussi, peu ou prou, par la lutte contre nos propres démons.

vendredi 8 mai 2015

On a envie de chanter

Quand le printemps vous saute aux narines dès que vous sortez,
quand la lumière rasante du petit matin éclaire la cime des arbres, du côté de Mange-Tian,
quand les jeunes feuilles des chênes verts vous glissent gentiment leur rosée dans le cou,
quand le sentier se cache sous une palette de fleurs jaunes dont j'ai oublié le nom,
quand un brouillard fin comme une soie japonaise s'effiloche là-bas au pied des Monts du Vaucluse,
quand le rossignol insaisissable vous accompagne d'arbre en arbre de ses trilles coulés, que vous écoutez tout en étant bien incapable de prévoir la suite de la partition,
quand la garrigue s'éveille, fraîche et déjà lumineuse,
et quand, au détour d'une clairière, un chevreuil en rut fait le beau autour de sa biche et vous gratifie de ses aboiements plus horribles que ceux d'un roquet,
alors, on a envie de chanter.

mardi 10 mars 2015

Dos au peuple!

Rome janvier 2015. Nous avions célébré la messe à Sainte Marie Majeure, dans une chapelle latérale avec - bien sûr - l'autel monumental s'appuyant sur le mur. En enlevant mon aube après la messe, je disais à un prêtre de l'Emmanuel qui en faisait autant :"Cela fait bien 50 ans que je n'avais célébré la messe "dos au peuple"." Et lui de rétorquer :"Mais c'est très bien comme ça! On devrait toujours célébrer ainsi!"
J'en suis resté baba, K.O. debout! Alors il m'a porté l'estocade :"Vous verrez: bientôt tout le monde fera comme ça!" J'étais anéanti, horrifié, pantelant d'indignation. Comment peut-on faire un  rétro-pédalage pareil? Revenir 60 ans en arrière? Bien sûr, que je sache Vatican 2 ne s'est pas prononcé sur la pratique de la célébration, liberté est laissée à chacun. Mais une vision saine de l'Eglise, vision issue du Concile, a rendu normale la célébration "face au peuple". Tout le monde comprend la charge symbolique forte liée à cette pratique. Si la messe est le prolongement de la Cène du Jeudi Saint , a-t-on jamais vu un repas de famille où les gens se tournent le dos? Et surtout, le Christ est présent d'abord dans la communauté qui célèbre (Constitution Lumen Gentium n°14)
Ce prêtre de l’Emmanuel ajoutait :"A la messe, on est tous tournés vers Dieu, devant nous.". Non, en vertu de l'Incarnation, le Christ est d'abord parmi nous. Et ce que cet abbé ne disait pas, c'est que, dans la célébration "dos au peuple", le prêtre se trouve l'intermédiaire obligé entre Dieu et les hommes, comme l'était le Grand Prêtre juif au temple. Et depuis quand les chrétiens ont besoin d'un intermédiaire autre que Jésus pour aller vers Dieu? Va-t-on remettre le prêtre sur le piédestal du haut duquel le Concile l'a fait descendre? 
En relisant le livre lumineux de Jean-Noêl Bezançon :"La messe de tout le monde", on se rend compte de quelles dérives l'Eglise s'est rendue autrefoiscoupable en faisant du prêtre un super-chrétien, et des laïcs de gentilles "brebis" juste bonnes à répondre Amen.
Je crois qu'il faut aller plus loin que l'indignation.  Ainsi je n'hésite pas à appeler les chrétiens à s'insurger contre une pratique qui, au fond, vise à renier le Concile et tout le renouveau que le Concile a voulu donner à l'Eglise. Ne vous laissez pas faire par ces prêtres qui ont une théologie datant du Concile de Trente. Rappelez-leur que la théologie est une science, et comme toute science elle évolue, réfléchit, comprend mieux les choses, va plus loin. Elle est, comme toutes les sciences, capable de progrès. Alors évitons le piège salafiste, ce piège qui serine aux croyants :"C'est le vieux qui est bon." Ne faisons pas comme l'islam officiel, empêtré dans son passé, peinant à aborder positivement la modernité.
Alors ayez le culot de dire non... tout en expliquant les raisons de votre refus. Et excusez ma colère!
Mais je crois que c'est une juste colère.

mardi 10 février 2015

6. Le croyant, fragile et solide.



Voici une histoire que je ne me lasse pas de raconter! Cela se passe au Nord-Cameroun. En montagne, j'entre dans la cour intérieure d'un saré, l'enclos familial,. Personne pour m'accueillir, à part un bambin qui, à la vue de cet horrible blanc, se sauve...et va se jeter dans les jambes de son père qui sort de sa case. Et l'homme, dans un geste tout naturel là-bas, attrape le gamin par un bras et hop! le juche sur son épaule. Alors de là-haut, l'enfant me décoche son plus beau sourire, l'air de dire :"Maintenant, avec mon papa, tu ne peux plus rien me faire!"

Et voilà bien éclairé mon propos de ce matin. Je suis, nous sommes tous comme ce petit, des bonshommes fragiles, relatifs, cachant notre peu de solidité sous des airs plus ou moins bravaches. Mais si, comme croyant, je monte sur les épaules de Dieu, alors oui, je deviens vraiment solide.
Le plus extraordinaire, c'est que Dieu lui-même est entré dans notre fragilité. Car la fête de Noël, c'est bien cela: Dieu qui vient partager notre faiblesse, marcher avec nous.   Il connaît la tentation, il pleure Lazare son ami, il crie de détresse à Gethsémani.

Chacun connaît très bien ses fragilités. Pas la peine d'insister, on ne demande pas à un accidenté de la route  s'il a mal. Mais si je réfléchis avec ma foi, je me rends compte que ma fragilité est une chance. C'est une chance car elle me pousse à faire confiance à un autre que moi-même, à grimper sur les épaules de Dieu. Rien de pire que le "suffisant". Le mot est clair: le suffisant se suffit à lui-même, il n'a besoin de personne. Pauvre de lui! A la première crise, qui viendra l'aider? Non, ma fragilité me rend accessible aux autres, et les autres me deviennent proches. Quand le docteur tombe malade, il comprend mieux ses malades.... Et je trouve ma solidité hors de moi-même, en Dieu si je suis chrétien. Rilke a célébré la fragilité de l'homme, Etty Hillesum a découvert la fragilité de Dieu, et Gabriel Ringlet a écrit avec bonheur un "Eloge de la fragilité".

Mais regardons l'Histoire. Il y a plein de fragiles-solides dans l'Histoire. St Pierre, mort de trouille dans la cour du grand-prêtre, et envoyé par Jésus "raffermir ses frères". St Augustin, criant sa misère dans ses Confessions, et devenu le grand spirituel que nous connaissons. Mère Térésa, passant par de terribles "nuits de la foi", et princesse de charité. Citons même Tierno Boukar, simple paysan musulman, grand mystique et persécuté pour cela. Tous ont été témoins de leur propre fragilité, mais leur foi fut solide.