mercredi 24 avril 2019

Châteaux



Les pères Oblats, dont je suis, sont dits « missionnaires des pauvres ». Bon, mais pas de quoi pavoiser, car tous les missionnaires se disent « des pauvres », à l’instar des Sœurs qui sont toutes des « petites » Sœurs (des pauvres, de Jésus)… Je n’ai jamais entendu parler ni de « missionnaires des riches », ni de  « grandes Sœurs des pauvres » !
Et pourtant, les « grands » existent ! Je viens de passer quelques jours dans un coin de la France profonde . Loin des vents de sable de Marseille, j’ai vécu la vie de château, moi qui me dis « des pauvres » ! Et j’en suis fort aise. Imaginez un peu : des plafonds de cinq mètres  de haut, des trophées de cerfs faisant ressembler les couloirs aux frondaisons environnantes, ou aux barbelés de la guerre de 14 dont le souvenir est ici omniprésent.. C’était dans l’Aisne, non loi de Coucy-le-château, dont les restes du fameux donjon dominent le paysage.

L’Aisne est à découvrir : des champs immenses, nus, monotones, à côté de forêts à perte de vue, de marais avoisinant la Somme. Et partout, des traces de la Grande Guerre. Cimetières, mémoriaux comme celui de Péronne où l’on découvre les mille astuces du poilu pour se protéger de la mitraille… Bien sûr, les bois hachés par les obus ont repoussé. Mais on se souvient encore de la Grosse Bertha, cet énorme canon qui tirait sur Paris, cachée astucieusement dans la forêt voisine de St Gobain.

L’Aisne c’est aussi, je l’ai dit, une terre de châteaux. Sur les 600 grandes demeures détruites en 14, quelque 250 ont été reconstruites. Et quels châteaux ! Le mien avait, devant ses fenêtres, un parc de 18 hectares, un étang où nous allions ramasser les œufs de colverts au petit matin, des arbres à faire rêver l’enchanteur Merlin… et une meute de 150 chiens courants qui, de temps en temps, se mettaient à hurler ensemble, de quoi faire pâlir de jalousie les trompettes du Jugement dernier. Vous voyez le tableau ?
Car l’Aisne est aussi une terre de pêche et de chasse. Chasse à courre, à pieds pour le lièvre, à cheval pour le cerf. Au grand dam des anti-chasse, toujours là aux rassemblements sous l’œil goguenard des gens du coin. Car ne nous y trompons pas : en ce pays de grande culture, les équipages ne se composent pas seulement des nobles locaux ! Mais les cultivateurs y figurent en bonne place qui montent dignement leurs immenses chevaux bons à affronter n’importe quel gaulis. La chasse à courre donc, avec son vocabulaire  si particulier et fleurant bon les fastes d’antan, avec le savoir-faire séculaire de ses pisteurs et autres piqueux.

Me voilà revenu de mon château, ébloui et songeur aussi. Je pense que si l’on veut comprendre la France, il faut inclure à la fois le foisonnement de ses villes, et ses terroirs. Faire le lien entre une France qui va trop vite et une autre plus posée, plus calme, où la vie n’est pas plus facile qu’ailleurs, mais dont la stabilité est somme toute assez rassurante.