samedi 27 novembre 2021

8. il y aura d'autres repas

 

                   
            Dans l’évangile, de temps en temps Jésus parle au futur : « Vous mangerez et vous boirez à ma table dans mon Royaume (Luc 22/30), « Heureux vous qui avez faim, car vous serez rassasiés. » (Lc 6/21). Il parle de quoi ? Où ? Quand ? Il n’en dit pas plus. Nous savons qu’il s’agit de la vie avec Dieu au ciel, oui,  ce qu’en langage biblique on appelle la vie eschatologique. Celle vers laquelle nous allons tous, riches et manants, croyants et athées. Donc, à la fin de ces méditations sur le repas, il est bon de s’y arrêter un peu non ?


Jésus ne donne aucun détail sur cette vie après la mort, contrairement à la tradition musulmane qui promet monts et merveilles, même sexuelles, aux vrais croyants. Non, Jésus se contente de parler de repas, mais de façon très symbolique, un beau symbole de la communion dans l’amour, le jour où Dieu sera « tout en tous ».

            Jésus n’en dit pas plus, quoique… Quoiqu’il se serve fort bien de ce langage symbolique dans quelques paraboles : les dix jeunes filles (Mt 25), les talents, les invités à la noce (Mt 22)… C’est plaisant à lire, mais Jésus ne rit pas du tout, il avertit : on n’arrive pas au ciel n’importe comment, il faut s’y préparer, et vite ! Sinon nous risquons de rater le train ! Exactement comme on se prépare à un mariage : nœuds papillons, robes à crevés, chapeaux pas possibles. Mais là, c’est plus sérieux : il s’agit de s’habiller le cœur pour la fête chez Dieu !

            On ne peut pas en dire plus, nous ne sommes pas chez Mme Soleil ! Alors, restons pratiques, les pieds sur terre. Ce festin céleste, c’est pour après-demain. Et en attendant ?

            On a assez reproché aux chrétiens de ne penser qu’au ciel, le nez en l’air, alors que nous autres pauvres pioches, souffrons  ici et maintenant. Comment parler du ciel aux migrants qui hantent nos villes, aux gamins de Phnom Penh qui se nourrissent sur les décharges publiques, aux femmes du Sahel qui font des kilomètres pour trouver un peu d’eau ? La souffrance dans le monde est rude, elle nous oblige à agir maintenant et ici ! Le ciel attendra !

            C’est juste : commençons par partager nos repas et nos fêtes avec ceux qui ont faim ; si nous aidons les pauvres ici et maintenant, Dieu se chargera du reste et nous ouvrira son Royaume. La communion dans l’amour, ça se vit d’abord ici.

            N’empêche : il y a une autre faim, il y a d’autres repas, ici et maintenant . La vie intérieure, la vie avec Dieu, c’est notre affaire aussi, autant que le Secours Catholique ou SOS Méditerranée. Rappelons alors l’appel du Christ dans l’Apocalypse en 3/20 :

« Voici que je me tiens à la porte et que je frappe. . Si quelqu’un entend ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui, je prendrai mon repas avec lui, et lui avec moi. »

jeudi 7 octobre 2021

7. Jeûner

 

 

            En parlant du repas, je pense au jeûne…  Non pas le jeûne forcé de ceux qui ont faim et qui peuplent  nos revues d’images, insoutenables pour nous les nantis. Mais le jeûne volontaire, choisi, décidé. La grève de la faim par exemple. C’est une protestation, une arme pacifique. Ce n’est pas de gaieté de cœur qu’Alexeï Navalny refuse de manger, il veut manifester contre une détention injuste ! Personne ne peut accepter de voir un autre mourir de faim ; même les bourreaux détestent garder cette tache indélébile sur leur bel uniforme. A part les nazis d’horrible mémoire.

            Il y a aussi le jeûne qui vient de la foi. Le Ramadan, le Carême …  Et là, il faut chercher le pourquoi. Pourquoi jeûner alors que les rayons du Casino voisin débordent ? Pourquoi se priver ? Cela  semble fort incongru dans nos sociétés d’hyper consommation !

            Autrefois, on jeûnait pour se préparer à un grand moment, la fête de Pâques par exemple. Ou pour appuyer la prière. C’est encore actuel. Mais il y a d’autres raisons, à creuser.

            Le jeûne peut être un signe. Il peut marquer le « pas seulement ». Quand Jésus reprend le Deutéronome des anciens pour signifier au diable dans le désert : « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. », il fait le  signe du désert de nourriture. Le signe du « pas seulement ». Le bifteck-frites c’est bien, mais il y a plus. Pour toi le disciple du Christ, il y a une Parole qui te nourrit, qui te transforme, qui te fait entrer dans le monde de Dieu. Le jeûne montre que, dans la vie d’un homme  il y a une échelle de valeurs. Une échelle qui commence par des valeurs au ras du sol, comme le bien manger, le confort ; nous les français, on connaît. Mais l’échelle des valeurs est faite pour monter jusqu’aux biens spirituels. D’une valeur à l’autre, on est mené par le « pas seulement » !

            Mais il faut aller plus loin. Le jeûne est du domaine du « pas seulement », il est aussi le domaine du « plus », du « magis" (c’est du latin) de St Ignace. Quand je laisse le repas, je fais encore un autre signe. Je montre que l’amour de Dieu est plus que n’importe quoi. Le jeûne touche à l’amour… Quand un garçon arrête de fumer pour faire plaisir à sa belle, il montre que son amour est plus haut, plus fort, plus beau que la gauloise.  Il faut aller jusque là pour comprendre que le jeûne fait partie de ces petites choses qui te tirent hors de toi-même pour monter vers Dieu. Allez-y, cherchez dans la Bible quel est le jeûne que Dieu préfère ! Là aussi, on reste dans le domaine de l’amour.

            C’est court ce que je dis là. Il faut se lancer, se mettre à l’école des grands priants, les Pères du désert, St François, St Benoît Labre, pour découvrir le secret de leur jeûne, parfois effrayant il est vrai. Mais il faut croire que l’amour prend parfois des airs effrayants !


mardi 14 septembre 2021

6. Eucharistie

 

 

            Parler ici de l’Eucharistie est légitime. Parce que l’Eucharistie est un repas. C’est d’abord un repas. On se rassemble autour d’une table, on mange, on boit, on parle. Et l’on se retrouve autour du Maître de maison, invisible mais bien réel dans le pain et le vin, dans sa Parole, dans l'assemblée.

            Je n’ai jamais aussi bien compris l’Eucharistie qu’en participant au  sacrifice dit païen, au Cameroun. Tous sont attentifs à ce que dit le maître du sacrifice, aux « paroles lourdes » qui s’adressent aux ancêtres. Tous attentifs, mais tous heureux d’être vivants et ensemble. La viande partagée scelle l’unité de la famille. C'est du sérieux, mais on n’est jamais loin du rire et de la blague, contrastant ainsi avec l’atmosphère trop souvent  compassée et rigide de nos eucharisties. 

            Pourtant, il y a comme une connivence entre la messe et la liturgie animiste : ici comme là-bas, ce sont des hommes, des femmes, des enfants, avec leurs peines et leurs joies, qui se tiennent, les uns devant leurs ancêtres, les autres devant leur Seigneur, et en définitive tous face à Dieu que les kapsiki appellent « Dieu dans le ventre du ciel », et nous "le Père de Jésus". Ici comme là-bas, est vrai ce que dit Paul Domergue : « Le pain eucharistique n’est pas là pour être regardé, promené, encensé, il est là pour être mangé ensemble. »

            Le Concile a heureusement rappelé que l’Eucharistie, sans renier son aspect de sacrifice, est d’abord un repas, et sur la table il y a à la fois la Parole de Dieu et le  Corps du Christ, une Parole et un Corps qui aident à vivre . Un repas qui rassemble et fait des convives une vraie communauté. St Paul le dit : « Puisqu’il n’y a qu’un seul Pain, nous sommes tous un seul Corps. »

            Pas d’Eucharistie sans une communauté qui écoute et qui mange ensemble. Et çela a des conséquences fortes, entre autre: quelle est la part des chrétiens dans la célébration? Est-ce qu’ils écoutent seulement ? Comment est mieux soulignée la nourriture prise à la communion : la prendre dans la main ou dans la bouche ? Ce ne sont pas des questions à prendre à la légère!

            Il y a jusqu’à la construction, rare, d’églises neuves qui ne soit pas neutre : l’autel n’est plus tout seulet au fond du chœur,  inaccessible au commun des mortels comme le Saint des Saints dans le  Temple  de Jérusalem; il est au centre d’un cercle où tous se voient, s’entendent, chantent aussi fort que la chorale etc. ? J’ai aimé l’ouvrage de Jean-Noël Besançon « La messe de tout le monde » ; il y a là-dedans une explication lumineuse de la Messe après le Concile !

               Bien d’autres aspects, très humains, très terre à terre,  montrent que la Messe est d’abord un repas. Entre autres : ce que je mange passe en moi et devient moi. Ma nourriture passe dans mon sang, elle devient mon corps. N’est-ce pas ce qui se réalise quand je communie au Corps du Christ ? Il y a comme une osmose entre Jésus et moi-même. Il devient moi et je deviens lui. Au point que St Paul se permet de dire : « Ce n’est plus moi qui vis, c’est le Christ qui vit en moi. » Et là, on n’est plus dans le symbole, cela  devient une réalité ! Une réalité où l’humain rejoint le divin.

            Tout ce que nous disons là s’enracine dans l’Evangile. Relisez les Pèlerins d’Emmaüs en Luc 24, et vous aurez un résumé extraordinaire de ce qu’est l’Eucharistie.

 

lundi 16 août 2021

5. les repas de Jésus

                On aime se représenter Jésus assis sur un rocher et parlant à un auditoire attentif et recueilli. Ou Jésus seul en prière, de préférence les yeux au ciel. Or, quand on lit les évangiles, on se rend compte que Jésus passe aussi pas mal de temps à table. Pour le français moyen, c’est rassurant !

            Ainsi, Jésus prend son temps pour s’asseoir avec ses apôtres, avec des grands, même avec des pécheurs. Il est là à partager  quelque bon morceau, mais aussi à écouter – il écoute beaucoup, et ça parle dans son cœur – et à causer comme on fait entre gens civilisés… On ne sait pas si ce furent de franches lippées, disons simplement qu’on dut sentir combien le Maître appréciait ces temps de convivialité.

            Jésus prenait le temps de manger, sauf quand les foules étaient trop denses, trop exigeantes. Ces jours-là, il partageait le sort des hommes publics, littéralement « mangés » par leur mission et par le message à transmettre. L’Evangile dit qu’il « ne trouvait pas le temps de manger » (Marc 3/20). Et les gens « buvaient ses paroles », littéralement.

            Jésus acceptait volontiers les invitations, chez les riches comme chez les humbles, chez les pharisiens comme chez ses amis, même aux noces comme à Cana ! Il y allait, et tant pis pour les grincheux qui osaient le traiter d’ivrogne  (Matthieu 11/19).

            Mais ce qui est remarquable dans ces repas de Jésus, c’est son franc-parler. Sûr, il n’avait pas suivi de cours de politesse française. Mais il profitait de l’occasion pour remettre les choses à l’endroit, au nez des invités qui cherchaient la meilleure place, à la barbe de Simon le pharisien devant la femme au parfum. Pour Jésus, le plus important, ce ne sont pas les bonnes manières, ni la qualité des invités ni celle des plats, mais l’accueil, la rencontre, le cœur à cœur. Quand Jésus, invité chez Marthe, déclare que Marie a choisi la meilleure part, il ne s’agit pas de la part de gâteau, ni de la contemplation meilleure que l’action. Marie a choisi la rencontre avec l’invité, l’écoute de sa parole, qu’elle boit littéralement, selon une expression chère aux rabbins.

            Face aux repas de Jésus, il y a cet autre repas de sang, horrible, où la tête de Jean-Baptiste arrive au milieu des plats, « sur un plateau », entre la poire et le fromage ! Daniel Marguerat fait remarquer que ce n’est pas seulement la tête de Jean-Baptiste qui est tranchée, mais  sa parole de prophète qui est coupée… Un repas de sauvages qui préfigure la mort du Christ, crucifié pour l’empêcher de parler lui aussi… Encore aujourd’hui, les dictateurs de tout poil savent très bien fermer la bouche de leurs opposants.

            Jésus, de son côté, ne  fait jamais  la morale à froid, mais il voit, il écoute, il se soucie du pauvre Lazare. Mieux encore : il ouvre les convives à la splendeur de Dieu, car la table les prépare à une autre  table, la table eucharistique. Nous verrons cela. En attendant, rappelons avec Bernard Sesboué que l’Incarnation, c’est la conversation entre amis, les repas pris ensemble, la fête, le labeur partagé. Jésus, grâce à ces choses de la vie, nous connaît de l’intérieur, et c’est toujours là que nous le rencontrons.

            Et à travers Jésus, nous comprenons Dieu, comme dit JM Ploux dans « Dieu n’est pas ce que vous croyez ».

 

 

lundi 24 mai 2021

4. Repas bibliques

 


            Dieu est, entre autres, « celui qui donne à manger ». « Il comble de biens les affamés », comme dit Marie dans son Magnificat.

            La Bible est pleine de repas. Depuis le repas furtif du pauvre qui mange ce qu’il trouve pour tromper sa faim, jusqu’aux festins à tout casser comme peuvent se le permettre les grands…. Dans leurs repas comme dans la vie, les petits hommes s’agitent beaucoup. Mais se rassembler pour manger est souvent, dans la Bible, un événement. Il s’agit bien de pimenter la vie ensemble… et de dire Dieu. La Bible dit Dieu à travers la vie des hommes, c’est ainsi.

            Il y a un repas qu’on peut appeler un repas-fondateur. C’est le repas de la Pâque, telle que le raconte le livre de l’Exode. C’est juste avant la sortie d’Egypte. Et, tout de suite, un détail intrigue : pourquoi le peuple doit-il manger debout, le bâton à la main (Ex 12/11) ? Pourquoi pas assis ? D’ailleurs, entre nous , manger debout le bâton à la main, ne devait pas être très commode pour se servir ! Et pourquoi si vite ? C’est contre les règles de la politesse : on n’a même pas le temps de s’asseoir et de discuter.

            En fait, Dieu a prescrit de manger debout pour signifier que la liberté n’attend pas ; il faut se tailler oui, mais vers une Terre Promise, espérée, célébrée par les exilés…. Ce repas-fondateur avec un agneau – l’agneau pascal – a marqué le peuple d’Israël, au point que St Jean dans son évangile, n’hésite pas à appeler Jésus l’Agneau de Dieu, le nouvel Agneau Pascal.

            Et puis, on trouve dans la Bible ce qui donne toute sa noblesse au repas : l’hospitalité. Chez les nomades, l’hôte est sacré ; tant qu’il est chez toi, personne ne peut toucher à un cheveu de sa tête. Car cet hôte, cet étranger, peut être un ange de Dieu déguisé ! A l’inverse ; manger avec quelqu’un est ensuite lui faire du mal, c’est une trahison. Témoin Judas qui, après avoir accepté la bouchée que le Maître lui offre, court pour aller le livrer.

            Il y a un trait que l’on retrouve chez nombre de peuples : on ne peut pas faire un geste religieux sans repas, c’est impensable ! Il faut marquer l’entente ou, mieux, l’alliance. Autrefois au Nord-Cameroun, au temps de l’insécurité permanente et des razzias, quand quelqu’un voulait voyager sain et sauf, il allait au préalable faire alliance avec des gens qui étaient sur le parcours. Ils mangeaient ensemble, et ensuite ils coupaient un chien. Tel quel ! Et chacun en emportait une moitié, signifiant ainsi qu’un malheur arriverait à  celui qui trahirait cette alliance !

            Hé bien, on retrouve ce rituel curieux dans la Bible. Relisez le récit de l’alliance de Dieu avec Abraham en Genèse 15/9-20, lorsque Dieu demande à Abraham de couper en deux une génisse, un bélier, une tourterelle, un pigeon. Ensuite, Dieu passe au milieu des animaux ainsi partagés, mais lui seul. Il reste maitre de l’alliance… Il faut goûter ces très anciens rites pour comprendre la délicatesse de Dieu. Et i
l faut avoir en tête cet arrière-plan de l’Ancien Testament pour comprendre les repas de Jésus ; il ne s’est pas contenté de faire descendre Zachée de son arbre, il est allé aussi loger chez lui .

 

mercredi 5 mai 2021

3. Le pain et la parole

 

       Nos coutumes françaises rejoignent bien d’autres coutumes, avec quelques variantes. Repas de fête, simple agapes familiales, pique-nique… Les occasions de manger ensemble sont diverses.

            Nous savons ce qu’il en est des « repas diplomatiques ». Ils sont une excellente occasion de vanter notre cuisine, et d’aborder des sujets délicats où l’on voudrait faire passer notre point de vue, entre deux verres de Meursault. Il y aussi les repas d’affaire. Quand j’étais enfant, souvent  mon père déclarait : « Ce midi, nous aurons un monsieur. » Alors nous savions qu’il faudrait se tenir à carreaux, être poli, pas de bagarres, laisser parler les grands etc…

Même si les façons de manger sont diverses, on remarque tout de suite qu’il y a un point commun : pas de vrai repas sans paroles, sans conversation … Sauf en cas de précarité, ou de goulag. Ou quand il y a de l’électricité dans l’air !

Sans se laisser aller à l’extrémisme d’Anne Soupa déclarant que « la dinde n’est là que pour favoriser les liens », reconnaissons que la place du cœur est importante à table. La maman a mis tout son cœur pour que ce soit bon, chacun participe à la conversation avec cœur : tout cela fait la chaleur du repas.

Allons plus loin : la parole peut, elle aussi, être nourriture. Témoin ce récit étonnant de Jacques Dherbomez commentant l’évangile de St Jean : « Un algérien raconte  :" Le chef du personnel, quand je me suis présenté, m'a fait asseoir-, il a téléphoné trois fois à différents chefs de service sans mentionner ma qualité d'algérien, en disant simplement: " J'ai ici un jeune homme très bien, qui cherche du travail dans telle spécialité ". Après avoir cherché en vain, il s'est excusé auprès de moi. Je l'ai regardé en face: c'était la première fois que j'osais plonger mes yeux dans les yeux d'un français. Je suis reparti heureux. Je n'ai pas soupé le soir, mais mon cœur avait soupé-, je n'avais plus faim ".

Mais, me direz-vous, qu’est-ce que cela a à voir ici, dans une méditation ??? C’est vrai, ce que nous disons ici est fort profane, et en général les sacristies ne laissent pas  échapper beaucoup d’odeurs de cuisine ! Bon, mais alors il suffit d’ouvrir la Bible pour voir la place des repas dans l’Histoire du Salut. Les gens de la Bible n’arrêtent pas de manger, et ce n’est pas neutre ! Car c’est là aussi, à travers le pain partagé, que Dieu rejoint l’homme. Nous restons dans la logique de l’Incarnation.

Je n’ai jamais senti à quel point l’humain et le divin sont à ce point mêlés qu’au Nord-Cameroun. Le sacrifice aux ancêtres est toujours suivi d’un repas de communion auquel tous les membres du saré (l’enclos familial) sont tenus de participer. On cause, on rit, on chasse le chevreau qui, avec obstination, se faufile pour y mettre la dent, on fait taire le bébé qui piaille. Nulle componction, fort peu de silence…  sauf quand le chef de famille parle ! On comprend alors combien la parole est importante, autant que la viande de chèvre, pour souder la fraternité, et pour rejoindre les ancêtres.

Gardons, nous aussi, cet art de vivre : la parole et le pain, la parole avec le pain.

 


samedi 24 avril 2021

2. Il y a repas et repas

 

             
Autant de cultures, autant de repas différents.

            Et d’abord, le non-repas. Je rentre à la maison, quelques « bonjour » rapides, et me voilà devant le frigo. Je me compose un fast-menu avec ce que je trouve, puis je vais me carrer devant la télé, mon plateau sur les genoux…. Voilà ce que j’appelle un non-repas ! On peut appeler ça un ravitaillement en vol, ou un arrêt-buffet, ou une pompe à carburant et tout ce que vous voulez, mais ce n’est pas un repas. La table est bien là, mais comme décoration, pour donner l’illusion de la vie de famille. Osons le dire : le non-repas est trop souvent un des visages de la vie actuelle. Une mode venant des USA ? Peut-être. Toujours est-il que cette mode tend à s’implanter chez nous, comme si l’on avait fait une croix sur le savoir-vivre.

            J’étais l’autre jour chez des gens, dans une des nombreuses cités de Marseille. Je vois la maman donner 2 euros à ses garçons : « Allez acheter vos chips ! » Et voilà, le problème du repas est réglé. Alors que le mercredi est une occasion unique pour les petits d’échapper à la cantine scolaire pour venir s’asseoir avec les parents autour d’un bon petit plat bien mitonné…. Le repas en famille est toujours un instant de tendresse. Mais où est la vie de famille si l’on ne se retrouve pas pour manger ensemble ???

            Le but du repas, c’est d’abord…manger. Mais depuis Brillat-Savarin et même peut-être avant, nous en avons fait une sorte de cérémonie bien française. Et qu’en est-il ailleurs ?

            Au Cameroun, je passai dans un village. Là-bas, quand on mange et qu’on voit passer quelqu’un, la bienséance veut qu’on l’appelle. La bienséance vaut aussi pour le passant qui ne saurait continuer son chemin sans prendre ne fût-ce qu’une bouchée… J’arrive donc, et vais m’asseoir avec trois hommes assis autour de la boule mil. Poliment, j’engage la conversation, je « fais des frais », comme on dit. Interloqué devant des réponses plus que laconiques  tenant plutôt du grognement, j’insiste. Jusqu’au moment où mon voisin me dit : « Tais-toi et mange ! Si tu parles pendant que les autres mangent, tu n’auras plus rien ! » Et toc ! Autant pour la politesse !

            J’ai compris : dans un pays où la vie prend souvent visage de survie, manger c’est d’abord tromper sa faim. Pour la tchatche, on verra après. Voilà donc une forme de repas que l’on retrouve un peu partout là où il y a de la précarité. En France il n’y a pas si longtemps, tels étaient les diners à la ferme. Peu de mots, la soupe et les frites d’abord. le travail aux champs n’attend pas.

            Qu’en est-il aujourd’hui ?

 

lundi 12 avril 2021

1. Famines


     Je continue mon exploration des "choses de la vie", car je suis persuadé que c'est là, et là seulement, que l'on trouve Dieu. Aujourd'hui, nous commençons une méditation sur "le repas".

                Un bon repas, c’est sympa ! Encore faut-il qu’il y ait quelque chose à manger ! Personnellement je n’ai pas fait l’expérience de la faim, même pendant la 2ème guerre mondiale, mais j’ai vu des gens avoir faim. Ils ne le disaient pas, bien sûr, ils avaient leur dignité, mais j’entendais des choses… Un homme venu la nuit supplier le forgeron de lui céder un peu de viande d’âne « pour ses enfants » disait-il. Il venait de nuit car les gens jamais, au grand jamais, ne mangeaient de viande d’âne, réservée aux forgerons. D’autres, en temps de famine, se contentaient du moût de bière de mil, d’une pauvre valeur nutritive, pour laisser la vraie boule de mil aux enfants. Excusez-moi, mais quand je vois certains gaspillages ici, ces souvenirs me montent à la tête !

            Alors ma foi, il m’est arrivé de fournir du mil à telle ou telle famille, toujours discrètement à cause de cette sacrée dignité. Mais j’avais le cœur serré de voir, dans  les champs, le mil nouveau sécher sur pieds, et les cadavres squelettiques des bœufs en bordure de route. Cela se passait dans les années 80, mais au 21ème siècle, est-ce tellement différent ? 

 
          
C’est encore pour lutter contre la famine que le diocèse de Maroua au Nord-Cameroun, avait lancé l’opération « greniers en commun ». Il s’agissait de lutter contre la spéculation : en période normale, les petits malins achetaient le mil à bas prix aux paysans, pour le revendre aux mêmes paysans bien cher en période de disette…. Alors les gens ont compris : ils se sont mis à construire des greniers communautaires où chacun  devait apporter 1, 2, 3 sacs au moment de la récolte. Et la communauté interdisait l’ouverture du grenier avant la période de « soudure », ce temps crucial qui précède la récolte suivante alors que les greniers sont presque vides... Ces greniers en commun furent  une belle initiative.

            Initiative terriblement contrecarrée par le fléau actuel de Boko Haram. Quand ces bandits attaquent un  village, la première chose qu’ils incendient après l’école, ce sont les greniers. Pour le moment, le pays se révèle impuissant à lutter contre cette horreur, laissant les gens dépendants de l’aide internationale, perdant ainsi leur dignité, et devenant des clochards perpétuels.

           Et que dire, ici même dans les cités de Marseille, devant la véritable angoisse qui saisit les ménages en ce temps de pandémie, devant le frigo vide ? Que dire à celles qui, toujours discrètement, fréquentent les associations qui distribuent de la nourriture ?

            Nous ne disons pas cela pour susciter une compassion facile, mais pour souligner combien avoir faim est in-humain, non humain, et combien le repas est au centre de toute vie en société. Nous français, nous savons cela dès le sein de notre mère ; c’est tellement évident que nous n’y faisons plus attention.

            Le repas  est aussi au centre de notre vie chrétienne, entre autres dans l’Eucharistie, si nous croyons que l’Eucharistie est d’abord un repas. Nous verrons cela.

 

lundi 22 mars 2021

7. La prière dans l'Eglise.

 

 

            Dans l’Eglise tout, absolument tout, part de Dieu et de sa grâce. Si l’Eglise vit depuis plus de 20 siècles, il n’y a pas de mystère, c’est que Dieu y est pour quelque chose !… Je parle pour les croyants bien sûr… Pour moi, j’ai souvent en tête le cri brûlant du Christ : « Père, je te rends grâce : ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits. » (Mt 11/25)

            Et dans l’Eglise tout, absolument tout, part du cœur de l’homme. Sans le cœur de l’homme, l’Eglise n’est qu’un tambour vide comme dit St Paul…. Ainsi, c’est aussi la vie intérieure de l’homme qui construit l’Eglise. Elle rencontre la grâce. D’où l’importance de la prière.  

            Il y a des milliers d’églises, de temples, de pagodes dans le monde… Pour ce qui est des églises, on peut les classer en trois catégories. La première, c’est l’église romane. L’église romane attire la prière personnelle. Si tu entres à St Victor de Marseille, tu es saisi par le clair-obscur, par le mystère de ces pierres blondes, blocs énormes, par le silence. Il y a un je-ne-sais-quoi qui t’entraîne à regarder Dieu en toi-même.

            Un autre type d’église, c’est la cathédrale… La cathédrale est faite pour un peuple. Au Moyen-âge, la cathédrale était le cœur de la ville. Et, à voir l’émotion lors du dernier incendie, Notre-Dame de Paris est encore dans le cœur des parisiens ! Un peuple chante, prie, célèbre son Dieu. En maints endroits, le peuple danse !

            Et le troisième type, c’est la chapelle dite « de brousse ». Ses murs en pisé, des tôles qui ne demandent qu’à s’envoler au gré des tornades de début des pluies. Autrement dit, une églisette qui ne paie pas de mine ! Et pourtant c’est là que vit la CEV, c’est là que  se trouve l’essentiel de la petite communauté chrétienne. On y prie bien sûr, mais aussi on y palabre, on y fait la fête, c’est vivant ! C’est une communauté à taille humaine, où l’amour fraternel se vit d’une façon tout à fait concrète…. Bien sûr, en France les églises sont souvent comme des chemises trop larges. Peut-être est-ce une bonne occasion pour elles de retrouver une taille plus humaine afin de  redevenir un lieu de vie comme les « chapelles de brousse » ???

            Et au milieu, il y a l’Eucharistie. Mais comme un sommet, un aboutissement. L’Eucharistie, c’est comme un diamant au soleil, bien taillé et riche de toutes ses facettes. C’est là que la prière de chacun rencontre la prière des autres.

            Evidemment,  si tu n’as aucune envie de Dieu, je comprends que tu préfères aller faire une pétanque… Et si tu te contentes d’aller à la messe par devoir ?  C’est déjà pas mal, mais ce n’est pas solide ! Dès que ton voisin ou ton cousin  n’y va plus, toi aussi tu cales et tu rejoins la pétanque… C’est ce que j’appelle une foi molle,  comme le sable humide en bord de mer.

            Pour que ta prière en Eglise soit vraie, souviens-toi de ce que disait Christian Salenson en parlant du Christ dans l’Église : « Le Berger invisible [des chrétiens] est cet Autre  insaisissable qui parle au cœur de chacun. »

 

 


jeudi 4 mars 2021

6. Vous avez dit catholique?

          Le temps use les mots. Catholique est un mot usé. Pour nos contemporains, le catholicisme est une branche des chrétiens, comme il y a des sunnites et des chiites en Islam.

            
Alors, il nous faut retrouver la fraîcheur et la vérité du mot ; pour cela, revenons au 2
ème siècle de notre ère avec Ignace d’Antioche. Ce grand évêque, mort martyr, est le premier à avoir parlé de « l’Eglise catholique répandue dans le monde entier ». Au 2ème siècle ! Pour Ignace, catholique voulait dire universel. Il savait que l’Evangile est une parole de vie pour tous les hommes de bonne volonté. En clair, Dieu peut parler au cœur de tous !

            Donc, l’Evangile est pour tous. Mais être catholique, c’est aussi croire que la Parole de Dieu peut nous venir par tout homme de bonne volonté… J’ai trouvé l’Evangile (pas le livre, la vie !) chez ce monsieur polygame dont le grand souci était de créer la joie et la paix dans son saré. Il n’admettait pas la jalousie, qui est souvent la norme dans ce milieu…J’ai aussi admiré le livre de Yann Arthus-Bertrand « Six milliards d’autres », où l’auteur interroge le birman, le burundais, le suédois sur l’amour, la peur, la mort etc.… J’applaudis à deux mains ! Car comme catholiques, nous sommes des chercheurs de trésor, le trésor de Dieu parlant au cœur des gens. Tu le trouves, ce trésor, aussi bien chez le pape François que  chez Jean Valjean le bagnard au grand cœur, aussi bien chez la petite Bernadette de Lourdes que chez ta voisine lumière de sa maison.

            Donc, dans catholique, j’entends à la fois unité et diversité. Unité car tous sont aimés de Dieu, diversité dans la manière de rencontrer Dieu. C’est à l’image de la gare de Canton, où tu trouves des Tibétains, des Hans, des Ouïgours, des Mandchous,  chacun en costume de sa région, mais tous chinois (de gré ou de force !).

            Alors on peut se demander qui est catholique et qui ne l’est pas ? Là, je refuse absolument de trancher !  C’est comme si vous me demandiez qui ira au ciel, qui ira en enfer ? C’est l’affaire de Dieu, avec ses grands bras. Arrêtons de coller des étiquettes en fonction de la religion, ou de la non-religion des gens. Pour moi, être catholique c’est sortir de la religion, de ses ors, de ses rites, pour retrouver tous les croyants dans le cœur de Dieu. A Taizé comme dans les cités de Marseille, je me sens pleinement catholique. C’est dans ce sens que Mgr Aveline, archevêque de Marseille, écrit : «  Il faut encourager les catholiques à se convertir à la catholicité de l’Eglise. »

            Une dernière image. Je connais un évêque en Afrique, qui a son bureau de plain-pied avec la rue. Il suffit de trois marches pour y être ! Cet évêque est là pour tout le monde ! Comme disait Mgr de Mazenod, fondateur des Oblats, il s’agit d’avoir « un cœur grand comme le monde. »

            A l’heure de la mondialisation, de l’Europe, de l’ONU, de l’ASEAN,  il est temps pour les croyants de jeter leurs œillères, de se libérer de leurs complexes, pour partager le même rêve de paix avec tous les hommes de bonne volonté.

 


vendredi 19 février 2021

Communautés 2

 

         Quand, dans les Actes des Apôtres, on lit une description des premières communautés chrétiennes, on comprend comment l’Eucharistie, rappel de la présence du Seigneur, a réuni les chrétiens dès le début de l’Eglise. Je n’invente rien ! Tenez, lisez : « Ils étaient assidus à l’enseignement des apôtres, à la fraction du pain. » Et St Paul en 1 Cor 10/17 : « Puisqu’il y a un seul pain, la multitude que nous sommes est un seul corps, car nous mangeons tous le même pain. »… La colonne vertébrale des premières communautés, c’est Jésus présent dans l’Eucharistie… Et, recevant le sacrement, les gens savaient qu’ils devenaient eux-mêmes sacrement (signes) du Christ.  Dans leur joie, ils le criaient sur les toits !...

            Voilà,   aujourd’hui encore, la marque de toute communauté chrétienne : chrétiens et catéchumènes se rassemblent autour de la Parole de l’Evangile, et – si possible – autour du Corps du Christ. Au Nord-Cameroun, quand une communauté voit le jour, elle construit d’abord une chapelle, si pauvre soit-elle, avant de penser école ou dispensaire. Le centre, l’âme, la joie de la communauté, c’est le Seigneur.

            Mais il y a d’autres traits qui constituent le pedigree de toute communauté chrétienne. D’abord, c’est un groupe qui pratique le pardon. Benoît 16 parlait de « communautés de miséricorde ». Parce qu’il faut bien voir : la communauté chrétienne n’est pas une bande de bons copains ; on ne se choisit pas ! Yvon Filippini va jusqu’à dire qu’il peut s’y trouver des « ennemis », des gens qui ne se comprennent pas, qui se font souffrir. Alors vous comprenez, s’il n’y a pas de pardon, la communauté devient un petit enfer. Ce ne sont pas nos états d’âme qui nous réunissent, mais le Seigneur « qui fait pleuvoir sur les bons comme sur les méchants ». Rappelons aussi que pardonner n’est pas seulement passer l’éponge ;  il s’agit aussi de positiver sur les autres.

                Un autre trait de la communauté chrétienne: dans la communauté
, on accepte la contestation, on ne se débine pas à la moindre contradiction. Nous ne sommes pas des oursins, mais des gens qui ne détiennent pas la vérité tout seuls !

            La communauté est ouverte. Renan disait que l’Eglise « est une secte qui a réussi ». Ouais !!! Si l’Eglise a réussi, c’est justement parce qu’elle est ouverte à tous, le contraire d’une secte…. Dans l’Eglise, nous sommes en pleine mondialisation  avant la lettre !   Depuis longtemps l’Eglise essaie de pratiquer cette mondialisation, mais c’est celle du cœur.

            Il y a bien d’autres traits de la communauté chrétienne. Par exemple : dans la communauté, l’air est léger, l’humour et le rire ne sont jamais loin. C’est très important le rire, voire la fantaisie. Quand on participe à une réunion de communauté, d’entrée de jeu on sent cette ambiance légère.

            Et puis, à mesure qu’elle grandit, la communauté invente son art de vivre propre, original. Deux exemples : dans un village, les femmes chrétiennes s’étaient constituées en « brigade», dont le rôle consistait à partir ensemble, bille en tête, pour ramener les femmes ayant déserté leur foyer. Deuxième exemple : des jeunes avaient fondé les JCC (Jeunes Chrétiens Créatifs). Leur rôle : par l’amitié et la vie ensemble, ramener les autres jeunes tentés par les sectes.  Je les appelais les « insecticides ».

            Pour finir, rappelons encore Benoit 16 : « Pour vivre en chrétien, il faut faire l’expérience de la communauté »

            C’est ça d’abord l’Eglise !

 


lundi 1 février 2021

Aigles

 

            Il y a plein de rapaces en Camargue. Preuve qu’il y a beaucoup de proies ! C’est un signe de santé. On en trouve partout, perchés à la fine pointe d’un poteau, ou planant très haut en orbes calmes, profitant des mouvements de l’air, sans un battement d’ailes, 
la queue servant de stabilisateur ; ils se jouent du soleil et des nuages.

              Les plus beaux ce sont les aigles. L’aigle  royal reste confiné aux Alpes ; mais en Camargue, on rencontre l’aigle de Bonelli nichant dans le Luberon ou les Alpilles, ou le circaète, le premier plus timide que le second. On les reconnait de loin à leurs cris aigres, surtout aux plumes terminales des ailes en éventail…

            Il ne faut pas perdre de vue le circaète, car souvent il suffit d’une seconde d’inattention pour manquer ses plongeons fulgurants sur une couleuvre repérée de très haut. C’est toujours émouvant de suivre son vol tournant, vol majestueux comme s’il s’estimait plus haut que les rampants sans ailes ! Au vrai, il est supérieur quand, piqué au fin haut de son poteau à haute tension, il fixe des yeux le surmulot, là tout en bas, avant de fondre droit dessus.

            Il y aussi le balbuzard pêcheur, aperçu en septembre. Si ce n’était sa taille, on le prendrait pour un aigle ! Là encore, le spectacle est rare de le voir plonger de très haut, serres en avant, droit dans l’étang du Vaccarès, avant de ressortir de l’eau avec un gros poisson. A moins qu’il ne surprenne ses proies en rase-motte…  Le métier de balbuzard est dur, car il rate sa proie plus souvent qu’il ne l’attrape ! Mais le spectacle est toujours saisissant.

            Il n’est pas étonnant que la charge symbolique de l’aigle soit forte, tant sa prestance, sa force, sa vue  le font voisiner avec les oiseaux mythiques comme le phénix ; depuis les indiens jusqu’aux empereurs, l’aigle est emblème de puissance. Autrichien et russes en rajoutaient même en lui faisant deux têtes !

            Dans la Bible, le symbole varie : l’aigle a une vue perçante et, dit-on, il est capable de regarder le soleil en face, à l’instar du Christ de St Jean l’évangéliste qui scrute le fond des cœurs et voit le Père. Déjà, comme l’aigle, le Dieu de l’Ancien Testament fondait sur sa proie en lançant des ennemis contre son Peuple rebelle (Deutéronome 28/49). Il lâchait le roi de Babylone et  Pharaon, ces « grands aigles » qui en feraient voir à Israël (Isaïe 17/3-7).

            Mais aussi, l’aigle biblique peut être symbole de tendresse :

« Tel un aigle qui éveille sa nichée et plane au-dessus de ses petits, il déploie son envergure, il le prend, il le porte sur ses ailes. » Deutéronome 32/11

            Et aux Hébreux après leur libération d’Egypte : « Vous avez vu ce que j’ai fait à l’Egypte, et comment je vous ai portés sur les ailes d’un aigle et vous ai amenés jusqu’à moi. » Exode 19/4

            Décidément,  même en Camargue, on voit de très belles choses qui vous aident à entrer dans la contemplation de Dieu !

 

samedi 23 janvier 2021

4. communautés 1


 

 

         Si tu dis : « Là, où il y a un prêtre, il y a l’Eglise », c’est embêtant, et c’est inexact. C’est embêtant car vu le nombre de prêtres qui diminue, l’Eglise ressemblera bientôt à un mouchoir en dentelle de Valenciennes !  Et c’est inexact, car l’Eglise Peuple de Dieu ne se réduit pas à ses clercs !...  Mais si tu dis : « Là où il y a une communauté chrétienne, il y a l’Eglise », là j’applaudis car tu auras compris que l’Eglise, c’est d’abord un peuple. 

            Un souvenir : dans le diocèse de Maroua au Nord-Cameroun, nous voulions faire un Directoire, sorte de mode d’emploi du diocèse. Une première ébauche réservait les 2/3 de l’ouvrage à l’évêque et aux prêtres, et le reste à la communauté chrétienne. Refusé ! Alors nous avons promptement inversé : 44 pages pour la communauté chrétienne, et 15   pour les structures diocésaines. Le Concile trouvait là une application pratique !

            Une communauté ? Les communautés sont légion. Qu’il soit familial, politique, urbain ou rural, tout groupe qui se rassemble pour un projet commun, forme une communauté ;  et j’ose dire que  ce groupe participe à sa façon à la construction du Royaume de Dieu. Un maire qui sait rassembler ses administrés dans un même projet communal,  mérite notre admiration ; comme dit Jésus : « [Il] n’est pas loin du Royaume de Dieu. »    

            Il y a cependant des communautés-type qui se veulent porteuses ouvertement de l’Evangile. Elles sont diverses, CVX, charismatiques, religieuses ; mais  surtout il y a ce qu’on a appelé les « communautés de base », à l’échelle d’un quartier, tout en restant dans le cadre paroissial. Elles sont toutes là, ces communautés, pour aider les chrétiens à vivre leur foi en rencontrant Dieu personnellement et ensemble.

            De ce foisonnement (car elles sont beaucoup et partout)), peut sortir un franc-parler, une pratique chrétienne originale, voire des contestations. Ensemble, ces communautés constituent une « opinion publique chrétienne », sensibles en France à travers, entre autres, les synodes diocésains. Parfois ça donne des boutons aux responsables ! Mais si le Concile a loué le « sens de la foi » des laïcs, ce n’est pas pour donner un coup d’encensoir platonique. Il faut que ce sens de la foi soit actif, et écouté. Car, comme dit le Plaidoyer pour un nouvel engagement chrétien (Pierre-Louis Choquet 2017), « les laïcs ont l’expérience du monde. »

            Dieu merci, la parole des chrétiens circule dans l’Eglise, de lka simple chorale  aux Comités pastoraux.  Malgré tout, le cléricalisme n’est pas mort, loin s’en faut ! Peut-être, peut-être, si davantage de chrétiens pouvaient être entendus de leur curé, en disant « Là d’accord, là pas d’accord », moins de gens quitteraient leur paroisse sur la pointe des pieds. Enzo Bianchi disait : «  Il faut récupérer la franchise et la liberté qui font partie du christianisme ».

            C’est bien de le dire, mais en fait, fais-tu partie d’une communauté chrétienne, formant avec les autres une mini-église vivante, partageant les joies et les peines du monde ?  Es-tu sur le terrain ou dans les gradins ? Car, comme dit Sylvie Robert : « Dans l’Eglise on est actifs, on retrousse les manches, car l’Eglise est à faire. »… Oui, depuis les apôtres et d’après une pratique multiséculaire, l’Evangile avance à la fois quand il devient intérieur à chacun, et quand il est partagé dans une communauté.