Nos coutumes
françaises rejoignent bien d’autres coutumes, avec quelques variantes. Repas de
fête, simple agapes familiales, pique-nique… Les occasions de manger ensemble
sont diverses.
Nous savons
ce qu’il en est des « repas diplomatiques ». Ils sont une excellente
occasion de vanter notre cuisine, et d’aborder des sujets délicats où l’on
voudrait faire passer notre point de vue, entre deux verres de Meursault. Il y
aussi les repas d’affaire. Quand j’étais enfant, souvent mon père déclarait : « Ce midi, nous aurons un monsieur. »
Alors nous savions qu’il faudrait se tenir à carreaux, être poli, pas de
bagarres, laisser parler les grands etc…
Même si les façons de manger sont diverses, on
remarque tout de suite qu’il y a un point commun : pas de vrai repas sans paroles, sans conversation … Sauf en cas de
précarité, ou de goulag. Ou quand il y a de l’électricité dans l’air !
Sans se laisser aller à l’extrémisme d’Anne Soupa
déclarant que « la dinde n’est là
que pour favoriser les liens », reconnaissons que la place du cœur est
importante à table. La maman a mis tout son cœur pour que ce soit bon, chacun
participe à la conversation avec cœur : tout cela fait la chaleur du
repas.
Allons plus loin : la parole peut, elle aussi,
être nourriture. Témoin ce récit étonnant de Jacques Dherbomez commentant
l’évangile de St Jean : « Un algérien raconte :" Le chef du
personnel, quand je me suis présenté, m'a
fait asseoir-, il a téléphoné trois fois à différents chefs de service sans
mentionner ma qualité
d'algérien, en disant simplement: " J'ai ici un jeune homme très bien, qui
cherche du travail dans
telle spécialité ". Après avoir cherché en vain, il s'est excusé auprès de
moi. Je l'ai regardé en face: c'était la
première fois que j'osais plonger mes yeux dans les
yeux d'un français. Je suis reparti heureux. Je n'ai pas soupé le soir, mais
mon cœur avait soupé-, je n'avais plus faim
".
Mais, me direz-vous, qu’est-ce que cela a à voir ici,
dans une méditation ??? C’est vrai, ce que nous disons ici est fort
profane, et en général les sacristies ne laissent pas échapper beaucoup d’odeurs de cuisine !
Bon, mais alors il suffit d’ouvrir la Bible pour voir la place des repas dans
l’Histoire du Salut. Les gens de la Bible n’arrêtent pas de manger, et ce n’est
pas neutre ! Car c’est là aussi, à travers le pain partagé, que Dieu
rejoint l’homme. Nous restons dans la logique de l’Incarnation.
Je n’ai jamais senti à quel point l’humain et le divin
sont à ce point mêlés qu’au Nord-Cameroun. Le sacrifice aux ancêtres est
toujours suivi d’un repas de communion auquel tous les membres du saré (l’enclos
familial) sont tenus de participer. On cause, on rit, on chasse le chevreau
qui, avec obstination, se faufile pour y mettre la dent, on fait taire le bébé
qui piaille. Nulle componction, fort peu de silence… sauf quand le chef de famille parle ! On
comprend alors combien la parole est importante, autant que la viande de
chèvre, pour souder la fraternité, et pour rejoindre les ancêtres.
Gardons, nous aussi, cet art de vivre : la parole
et le pain, la parole avec le pain.
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