mercredi 5 mai 2021

3. Le pain et la parole

 

       Nos coutumes françaises rejoignent bien d’autres coutumes, avec quelques variantes. Repas de fête, simple agapes familiales, pique-nique… Les occasions de manger ensemble sont diverses.

            Nous savons ce qu’il en est des « repas diplomatiques ». Ils sont une excellente occasion de vanter notre cuisine, et d’aborder des sujets délicats où l’on voudrait faire passer notre point de vue, entre deux verres de Meursault. Il y aussi les repas d’affaire. Quand j’étais enfant, souvent  mon père déclarait : « Ce midi, nous aurons un monsieur. » Alors nous savions qu’il faudrait se tenir à carreaux, être poli, pas de bagarres, laisser parler les grands etc…

Même si les façons de manger sont diverses, on remarque tout de suite qu’il y a un point commun : pas de vrai repas sans paroles, sans conversation … Sauf en cas de précarité, ou de goulag. Ou quand il y a de l’électricité dans l’air !

Sans se laisser aller à l’extrémisme d’Anne Soupa déclarant que « la dinde n’est là que pour favoriser les liens », reconnaissons que la place du cœur est importante à table. La maman a mis tout son cœur pour que ce soit bon, chacun participe à la conversation avec cœur : tout cela fait la chaleur du repas.

Allons plus loin : la parole peut, elle aussi, être nourriture. Témoin ce récit étonnant de Jacques Dherbomez commentant l’évangile de St Jean : « Un algérien raconte  :" Le chef du personnel, quand je me suis présenté, m'a fait asseoir-, il a téléphoné trois fois à différents chefs de service sans mentionner ma qualité d'algérien, en disant simplement: " J'ai ici un jeune homme très bien, qui cherche du travail dans telle spécialité ". Après avoir cherché en vain, il s'est excusé auprès de moi. Je l'ai regardé en face: c'était la première fois que j'osais plonger mes yeux dans les yeux d'un français. Je suis reparti heureux. Je n'ai pas soupé le soir, mais mon cœur avait soupé-, je n'avais plus faim ".

Mais, me direz-vous, qu’est-ce que cela a à voir ici, dans une méditation ??? C’est vrai, ce que nous disons ici est fort profane, et en général les sacristies ne laissent pas  échapper beaucoup d’odeurs de cuisine ! Bon, mais alors il suffit d’ouvrir la Bible pour voir la place des repas dans l’Histoire du Salut. Les gens de la Bible n’arrêtent pas de manger, et ce n’est pas neutre ! Car c’est là aussi, à travers le pain partagé, que Dieu rejoint l’homme. Nous restons dans la logique de l’Incarnation.

Je n’ai jamais senti à quel point l’humain et le divin sont à ce point mêlés qu’au Nord-Cameroun. Le sacrifice aux ancêtres est toujours suivi d’un repas de communion auquel tous les membres du saré (l’enclos familial) sont tenus de participer. On cause, on rit, on chasse le chevreau qui, avec obstination, se faufile pour y mettre la dent, on fait taire le bébé qui piaille. Nulle componction, fort peu de silence…  sauf quand le chef de famille parle ! On comprend alors combien la parole est importante, autant que la viande de chèvre, pour souder la fraternité, et pour rejoindre les ancêtres.

Gardons, nous aussi, cet art de vivre : la parole et le pain, la parole avec le pain.

 


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