Bien carré dans mon fauteuil, je regarde les lybiens débarquer, hagards, les yeux vides, étonnés d'être encore en vie, sur les quais de Lampédusa.... Séquence suivante: la rage et le désarroi des licenciés d'Alcatel. On saute ainsi d'une misère à l'autre, mais ma foi on voit tant de choses à la télé qu'on finit par être comme anesthésiés. Surtout si ce n'est pas à notre porte.
Et pourtant, à y bien regarder, ne sommes-nous pas , d'un côté comme de l'autre, de Lampédusa à Alcatel, face à un même drame: celui des déracinés? D'un côté, des gens pour la plupart jeunes, qui à force de se taper la tête contre les murs là-bas, finissent par tenter le désert et la traversée. Et les voilà souvent seuls, sans repères, sans comprendre la langue, errant à Calais ou ailleurs. De l'autre, des gens qui ne comprennent pas bien ce qui leur arrive ni pourquoi ils doivent rester sur le quai. Des déracinés eux aussi. Et à 50 ans, allez recommencer une formation, changer de quai, trouver de nouvelles racines.
Vous me direz qu'on en a vu d'autres: les boat-people, les pieds noirs d'Algérie, tout ça. J'ai moi-même connu "l'exode" en 40, mais ce sont des souvenirs d'enfant: un voyage de plus, un bombardement dans cette maison qui tanguait... Peut-être ce 21ème siècle est-il celui des déracinements. Combien de jeunes qui cherchent du travail, savent à peine où ils sont nés, combien de fois ils ont déménagé, quelle terre ils ont quitté. Ce ne sont pas des réfugiés, loin de là, mais peut-être comprennent-ils, mieux que nous les anciens, la peine des licenciés et l'espérance des réfugiés.
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