lundi 2 septembre 2024

 

A la chapelle ???

                                                                                                                       

    On pourrait s'offusquer de trouver dans un coin de la chapelle l'image ci-contre! Que diantre vient-elle faire en ce lieu saint?

?
    Mais il    y a des images qui « parlent » et qui deviennent des photos-langage, à l’instar de celles auxquelles l’ami Alfonso Bartolotta nous a habitués. De telles images demandent un effort de décryptage. Celle-ci est profondément « humaine », mais elle répond à ce que disait le P. Varillon :  Dieu ne peut diviniser que ce que nous avons d’abord humanisé.. Bien des images nous parlent d’un au-delà d’elles-mêmes, elles peuvent nous parler de Dieu… Elles vont au-delà de l’humain, un plus loin qu’il nous faut découvrir en dépassant ce qui au premier abord nous semble bien peu « religieux » !

            Cette athlète en voiturette, tenue de sport et raquette à la main, nous dit plus que ce qu’elle représente. Elle est un signe, et comme tous les signes elle nous invite à chercher plus loin…  Après sans doute un temps de dépression ou de rage suite à son accident, il a fallu à cette dame une bonne dose de courage, de foi en la vie et d’endurance pour dépasser son handicap. Elle a dû traverser bien des souffrances, voire des désespérances, pour arriver à une sorte de résurrection, et ce fut pour elle à la fois une aventure pathétique, et magnifique.

            Au fond, cette dame est la figure moderne de tous les handicapés que Jésus a guéris. Elle reste certes paralysée des jambes comme dans le premier temps de la guérison  du paralytique en Luc 5/17-26. Mais pour elle aussi, a résonné l’appel du Christ :« Lève-toi et marche ! ». Alors, même en petite voiture, elle a retrouvé goût à la vie, au sens de l’effort et à la lutte contre elle-même. Elle est devenue signe d’espérance pour tous les blessés de la vie.

            Les JO paralympiques sont une invention récente ; ils restent un signe moderne pour nous, un signe fort « profane »,   à peine digne de figurer dans une chapelle ! Mais ce signe est éternel : Dieu est avec ceux et  celles qui se lèvent et qui marchent… même à cloche-pied !

mardi 13 août 2024

Mission

 




Chacun sait que les préjugés ont la vie dure ! Ainsi à propos de la mission. Le mot est à peine prononcé que des relents tenaces de colonialisme, de « conquête des âmes » reviennent en surface, accompagnés d’images de missionnaires barbus comme des pères Noël, baroudeurs et casqués, forts en gueule et grands constructeurs, baptisant à tour de bras des foules plus ou moins « converties » à l’Évangile... Il nous faut résolument tourner le dos à ces clichés si nous voulons comprendre la mission aujourd’hui !

 

Sortir

 

            « Sortir » : le mot a été mis à la mode par le pape François. La mission, c’est sortir. Oui, mais pour aller où ? Pour faire quoi ? Bien sûr il s’agit d’abord « d’annoncer la Bonne Nouvelle » comme on dit en langage d’Église. Mais comment parler si les gens n’y comprennent rien ? C’est comme cultiver des tomates hors-sol. Au mieux, ils seront prêts à suivre la Parole au pied de la lettre, surtout si c’est « le père » (blanc) qui la proclame. Ainsi au village de Kila, où je parlais d’Adam et Ève avec force gestes : « Et Dieu dit : vous ne mangerez pas de cet arbre-là ! » Et de mimer la scène en désignant un ficus voisin. Deux ans après, je repasse par là ; et les gens de me dire : « Tu sais, l’arbre que tu nous as dit, on n’y a pas touché, ah non ! »

 

            Il faut d’abord s’asseoir avec les gens, essayer de comprendre ce qu’ils vivent, vivre au mieux avec eux, au milieu d’eux, comme eux. Quand les Petites Sœurs de Foucauld partaient à Calais, elles n’y allaient pas la Bible à la main, elles y allaient pour rencontrer les migrants s’accrochant aux camions. Elles sortaient vers cette humanité souffrante, pour s’asseoir avec ces gens voulant vivre à tout prix.

 

            La mission du chrétien, c’est dehors. Pour tisser des liens. À Marseille et partout, il y a des pots de l’amitié en bas des immeubles et les chrétiens sont là. Au fond, on sort de chez soi, de son propre confort, pour faire un travail d’amour. Mais quand on sort, on attrape des coups, forcément. On se heurte au mal, on a mal au monde. Alors là, sortir veut dire « crier avec ceux qui crient, pleurer avec ceux qui pleurent ». Il y a donc une manière chrétienne de faire la fête avec ceux qui sont heureux, et une manière chrétienne de s’asseoir avec le voisin atteint de leucémie, ou avec ce jeune qui se bat pour trouver du travail.

 

            Or, face à la Mission, il y a deux types d’Églises possibles. Il y a l’Église qui sent un peu la naphtaline. Une Église frileuse, uniquement préoccupée de ses problèmes internes, de sa liturgie, de sa théologie. Cette Église prend figure de citadelle assiégée où le prêtre, du haut des remparts (de la chaire), tire à boulets rouges sur le monde et ses turpitudes. Pour cette Église, pas besoin de sortir ! À l’entendre, ce sont les autres qui doivent venir à elle. Ce sont eux qui doivent sortir du diable ("s'extirper de la boue", c'est pas mal aussi!) pour entrer dans la Vérité !

 

            L’autre modèle d’Église, c’est l’Église décoiffée par le vent du large, à l’image du regretté Laurent Bourgnon. Cette Église annonce le Royaume, mais elle cherche aussi les traces du Royaume dans le monde. Avec passion. Elle s’en émerveille, comme le Christ s’émerveillait devant la foi du centurion romain. J’aime bien le livre de Yann Arthus-Bertrand : Six milliards d’autres, où l’auteur arpente la Terre pour demander au Mongol, à l’Indien, à l’Américain : « Et toi, que penses-tu du bonheur, de la douleur, de l’amour ? » L’Église-qui-sort pose les mêmes questions. Poussée par l’Esprit, elle cherche ailleurs où souffle le vent de Dieu ; elle est attentive à ce que vivent les autres, tous les autres, pas seulement les chrétiens du coin. Cette Église est souvent sale comme dit François, car elle a mis les bras dans la misère humaine, et jusqu’au coude !

 

            Sortir, c’est revivre l’Exode. Pas besoin d’aller en Chine pour cela. Témoin ce papa qui rentre à la maison, fatigué après une rude journée de travail. Il se carre dans son fauteuil avec un « ouf ! » de contentement, ouvre son journal et... une toute petite voix monte du tapis : « Papa, viens jouer avec moi. » Et le papa laisse son journal, il « sort » vers son garçon pour jouer avec lui.

 

 

 

dimanche 3 mars 2024

7. Le pardon

 



            Le signe le plus haut de la liberté intérieure, c’est le pardon. Mais Seigneur, qu’il est difficile  de pardonner !... « Me faire ça à moi, jamais ! » Nous avons tous le coeur plus ou moins saignant des crasses qu’on nous a faites. Entre nous, nous avons  aussi des crasses à nous faire pardonner !… Toutes les grandes religions appellent au pardon. Pour les rabbins, on peut pardonner 4 fois. Pour l’islam, bien plus. Et l’Evangile : 77 fois 7 fois, c’est-à-dire toujours. Même s’il faut marcher sur son amour-propre…  Mais Dieu, que c’est difficile !

            Dans la Bible, Dieu finit toujours par pardonner. Vous me direz : « C’est normal, c’est son métier », comme disait Heine. Mais nous les hommes ?

            En fait, le pardon est le meilleur signe que tu es libre à l’intérieur. Le pardon  a deux faces :

1° pardonner à l’autre, c’est le libérer, lui. C’est le mot que l’on trouve dans la parabole du serviteur impitoyable (Mt 18). Le patron le « libère » de sa dette. Le pardon est un courant d‘air frais qui casse la spirale de la vengeance ! C’est la seule façon, je dis bien la seule façon, de vivre dans une société qui ne soit pas un enfer.

2° quand je pardonne, je me libère moi-même. Je ne suis plus esclave de rien, et d’abord de ma colère… Ingrid Betancourt disait : « Quand on pardonne, c’est avec soi-même qu’on fait la paix. » Voilà le signe que nous ont laissé le P. Kolbe pardonnant à ses bourreaux dans le bunker de la faim, Etty Hillesum dans le camp de la mort, Antoine Leiris, après le Bataclan, qui avait écrit cet article splendide : « Vous n’aurez pas ma haine. » Tous  gens qui ont pardonné, ou qui sont en route vers le pardon.

            Le P. Varillon appelle le pardon une re-création. Ce n’est pas un simple coup d’éponge, c’est un nouveau départ. A la fois pour l’agresseur et pour la victime. Dans le même sens, Daniel Marguerat dit que le pardon est une application pratique de la Résurrection.  Que ce soit après Auschwitz ou après le Rwanda, pour un chrétien le pardon fait partie d’un travail de deuil indispensable…. C’est dur de dire ça, je le sais, je l’ai moi-même éprouvé, c’est sanglant. Mais il faut le dire : la haine ferme les portes, le pardon ouvre vers un monde nouveau possible. ; il suffit de relire l’histoire de la femme adultère dans l’Evangile. Avec les gens qui l’accusaient, le seul horizon pour la dame était celui que lui présentait la haine : la mort. Avec Jésus une porte s’ouvre, une résurrection devient possible, à la fois pour la femme, et pour les gens qui voulaient la tuer. Nous devenons répliques de Jésus cassant les portes de la mort en ressuscitant.

            Pour pardonner, et c’est par là que nous terminons notre réflexion sur la liberté, pour pardonner il faut prendre assez de distance avec ton ego pour que ta liberté intérieure, celle à laquelle le Christ t’appelle, devienne possible.

            N’oublions pas : un homme, un jour, a pardonné sur une croix.

 

mercredi 10 janvier 2024

se libérer... de soi-même

 

 

                Il se disait « libéré ». Ou, en plus moderne, « rebelle ». Et, parce que moi prêtre j’étais là, il se proclamait « libéré de son baptême ». En fait, il n’avait appris de sa religion qu’un ensemble  de préceptes plus moraux les uns que les autres, mais pour lui à la longue insupportables : « Fais ceci, fais pas cela etc.… » Alors il s’en est libéré comme d’un carcan, comme des chaînes aux pieds tel un âne entravé. Il fallait qu’il s’en sorte pour vivre sa vie d’homme debout…et il avait certainement raison !

            Mais voilà : quel horizon lui restait-il, à cet homme ? Car j’ai constaté : livré à lui-même, à ses désirs, à ses phantasmes, alors tout pouvait  arriver. Ego surdimensionné, volonté de puissance, sexualité débridée, suffisance insupportable avec les autres. Il avait oublié même le b-a-ba de la vie en société : « Ma liberté s’arrête là où commence celle des autres. »   Je vous demande : « Quand on devient esclave de soi-même, où est la liberté??? »

            Tant qu’on voit la religion comme une prison bonne pour les naïfs, on a raison de vouloir en sortir. C’est ce que font des tas de gens en France, avec un accent fleurant bon mai 68…  Mais il faut se rendre compte que le christianisme est beaucoup plus qu’une morale un peu ringarde. C’est l’Evangile vécu. C’est quelqu’un qui te libère de ce qui te tient esclave. Entre nous, il est bon de se regarder de temps en temps : « Qu’est-ce qui m’attache, qui m’empêche d’être libre ? » Si c’est le tabac, c’est moins grave. Mais chacun sait qu’il existe des addictions pires que le tabac !

            Jésus a fait bien des miracles, guéri des lépreux, des aveugles etc.… Mais il ne s’arrêtait pas là, il savait « ce qu’il y a dans l’homme ». Alors, chaque fois que Jésus guérit quelqu’un, il y a comme un appel profond, profond comme le brame du cerf en forêt de Compiègne. C’est flagrant dans la guérison du paralytique. Et dans la guérison de l’aveugle-né en St Jean.  Jésus lui rend la vue, oui, mais il lui ouvre aussi les yeux du cœur…St Paul a des mots très forts là-dessus.

            Cette libération de toi-même a deux facettes. D’abord elle te jette dans les bras du Dieu d’amour tel que Jésus te le montre. Ensuite elle te fait sortir de ton moi, ce moi que tu chouchoutes. Pour toi désormais, il se produit un changement radical : seuls les autres comptent. J’ai déjà parlé de ce gamin à qui j’avais donné un bout de pain, et qui, instinctivement, cherchait des yeux avec qui partager.

            J’étais récemment chez des amis, avec plein de jeunes couples et de bons copains passant leur temps à se charrier les uns les autres. Et j’étais un peu triste car personne ne m’a accompagné à la messe du dimanche. Mais j’ai trouvé des gens bien dans leur peau, aimant la vie. Et qui chantaient en chœur la chanson de Florent Pagny : « Vous n’aurez pas ma liberté. » J’avais envie de leur dire : « L’Evangile vous offre cette liberté. » J’en avais envie, mais je ne l’ai pas dit.

            Thomas Merton me le rappelle : « Il faut que j’apprenne à « me quitter » pour me trouver, en m’abandonnant à l’amour de Dieu. »