mardi 13 août 2024

Mission

 




Chacun sait que les préjugés ont la vie dure ! Ainsi à propos de la mission. Le mot est à peine prononcé que des relents tenaces de colonialisme, de « conquête des âmes » reviennent en surface, accompagnés d’images de missionnaires barbus comme des pères Noël, baroudeurs et casqués, forts en gueule et grands constructeurs, baptisant à tour de bras des foules plus ou moins « converties » à l’Évangile... Il nous faut résolument tourner le dos à ces clichés si nous voulons comprendre la mission aujourd’hui !

 

Sortir

 

            « Sortir » : le mot a été mis à la mode par le pape François. La mission, c’est sortir. Oui, mais pour aller où ? Pour faire quoi ? Bien sûr il s’agit d’abord « d’annoncer la Bonne Nouvelle » comme on dit en langage d’Église. Mais comment parler si les gens n’y comprennent rien ? C’est comme cultiver des tomates hors-sol. Au mieux, ils seront prêts à suivre la Parole au pied de la lettre, surtout si c’est « le père » (blanc) qui la proclame. Ainsi au village de Kila, où je parlais d’Adam et Ève avec force gestes : « Et Dieu dit : vous ne mangerez pas de cet arbre-là ! » Et de mimer la scène en désignant un ficus voisin. Deux ans après, je repasse par là ; et les gens de me dire : « Tu sais, l’arbre que tu nous as dit, on n’y a pas touché, ah non ! »

 

            Il faut d’abord s’asseoir avec les gens, essayer de comprendre ce qu’ils vivent, vivre au mieux avec eux, au milieu d’eux, comme eux. Quand les Petites Sœurs de Foucauld partaient à Calais, elles n’y allaient pas la Bible à la main, elles y allaient pour rencontrer les migrants s’accrochant aux camions. Elles sortaient vers cette humanité souffrante, pour s’asseoir avec ces gens voulant vivre à tout prix.

 

            La mission du chrétien, c’est dehors. Pour tisser des liens. À Marseille et partout, il y a des pots de l’amitié en bas des immeubles et les chrétiens sont là. Au fond, on sort de chez soi, de son propre confort, pour faire un travail d’amour. Mais quand on sort, on attrape des coups, forcément. On se heurte au mal, on a mal au monde. Alors là, sortir veut dire « crier avec ceux qui crient, pleurer avec ceux qui pleurent ». Il y a donc une manière chrétienne de faire la fête avec ceux qui sont heureux, et une manière chrétienne de s’asseoir avec le voisin atteint de leucémie, ou avec ce jeune qui se bat pour trouver du travail.

 

            Or, face à la Mission, il y a deux types d’Églises possibles. Il y a l’Église qui sent un peu la naphtaline. Une Église frileuse, uniquement préoccupée de ses problèmes internes, de sa liturgie, de sa théologie. Cette Église prend figure de citadelle assiégée où le prêtre, du haut des remparts (de la chaire), tire à boulets rouges sur le monde et ses turpitudes. Pour cette Église, pas besoin de sortir ! À l’entendre, ce sont les autres qui doivent venir à elle. Ce sont eux qui doivent sortir du diable ("s'extirper de la boue", c'est pas mal aussi!) pour entrer dans la Vérité !

 

            L’autre modèle d’Église, c’est l’Église décoiffée par le vent du large, à l’image du regretté Laurent Bourgnon. Cette Église annonce le Royaume, mais elle cherche aussi les traces du Royaume dans le monde. Avec passion. Elle s’en émerveille, comme le Christ s’émerveillait devant la foi du centurion romain. J’aime bien le livre de Yann Arthus-Bertrand : Six milliards d’autres, où l’auteur arpente la Terre pour demander au Mongol, à l’Indien, à l’Américain : « Et toi, que penses-tu du bonheur, de la douleur, de l’amour ? » L’Église-qui-sort pose les mêmes questions. Poussée par l’Esprit, elle cherche ailleurs où souffle le vent de Dieu ; elle est attentive à ce que vivent les autres, tous les autres, pas seulement les chrétiens du coin. Cette Église est souvent sale comme dit François, car elle a mis les bras dans la misère humaine, et jusqu’au coude !

 

            Sortir, c’est revivre l’Exode. Pas besoin d’aller en Chine pour cela. Témoin ce papa qui rentre à la maison, fatigué après une rude journée de travail. Il se carre dans son fauteuil avec un « ouf ! » de contentement, ouvre son journal et... une toute petite voix monte du tapis : « Papa, viens jouer avec moi. » Et le papa laisse son journal, il « sort » vers son garçon pour jouer avec lui.