samedi 15 janvier 2011

what is your problem?


Si vous débarquez un jour sur le marché de Maïduguri au Nigéria, immanquablement vous verrez un gamin des rues vous ouvrir la portière et vous demander fort civilement :"What is your problem?", espérant ainsi que vous lui proposerez de "garder la voiture".

Ce matin j'entendais l'évêque de Belley-Ars parler de la "nouvelle évangélisation." Il la voyait, cette évangélisation nouvelle, comme un dialogue entre ceux qui croient en Dieu et ceux qui n'y croient pas. Et de citer un savant dont j'ai oublié le nom.

Personnellement, je n'ai pas encore compris ce qu'est cette nouvelle évangélisation. Mais qu'on me dise que c'est un dialogue me laisse rêveur. Il s'agirait donc d'un échange entre intellectuels, ceux qui y croient et ceux qui n'y croient pas? Mais alors, comment porter l'évangile à ceux qui s'en fichent complétement, ceux pour qui le "problem" n'est pas l'existence de Dieu, mais bien l'emploi à trouver, l'école du gamin et son avenir, les traites à payer? Comment "dialoguer" avec ceux-là?

Curieusement, ceci rejoint ma propre expérience missionnaire. En quelques années, je suis passé de la "conquête des âmes" au "What is your problem?" de l'enfant nigérian. Cela s'est fait lorsque je me suis rendu compte que le "problem" des gens, c'était ici la pluie qui tarde à venir, là le grenier presque vide; ou ailleurs en ville, la fille abusée par son prof et qui cherche à avorter, le jeune chômeur à la porte de la Sodécoton, ou le policier chrétien qui veut rester propre... Au fond, quand Jésus guérit le lépreux, il sait bien que son "problem", c'est d'abord... la lèpre qui le ronge.

Non, je ne sais pas ce qu'est la nouvelle évangélisation. Mais l'évangélisation de toujours commence par la contemplation des gens et des choses, et par la question jamais éteinte :"What is your problem?"

dimanche 2 janvier 2011

voeux

Qu'elle chantait bien cette petite! Dieu qu'elle chantait bien. C'était hier matin 1er janvier à la radio.

Et puis, est-ce l'âge, est-ce un esprit malin, je ne sais; tout d'un coup j'ai pensé: oui, elle chante bien, mais dans deux ans, trois au maximum, on ne parlera plus d'elle. Voilà comment, la vie aidant, on relativise les choses... On se prend pour l'homme de l'Ecclésiaste qui marmonnait:
"Vanité des vanités, tout est vanité."
Quand on prend de l'âge, on regarde les gens et les choses avec quelque distance. Alors on s'emballe moins vite; et, secrètement, on soumet les événements à l'épreuve du temps.

C'est quand même assez sage. Mais alors, est-ce que j'arrive à un âge où l'on ne s'enthousiasme plus? Se peut-il que, blasé de tout, je ressemble à ces touristes qui n'ont plus la grâce de s'émerveiller à force de voyager? Ai-je atteint la date de péremption?

Non, je veux être encore capable de passion, quitte à faire figure d'ado prolongé. Car je n'ai pas envie, mais alors pas du tout, de relativiser la présence aux autres, le service des autres, l'amitié, toutes ces petites choses. Car c'est là qu'est la Mission. Loin du préchi-précha, du yakafokon, c'est la Mission de toujours.... Cette Mission, c'est la mienne, mais il me faut l'assaisonner avec un peu de passion, sinon elle reste assez fadasse. Au risque d'être traité de naïf, je pense que, vue ainsi, la vie vaut la peine d'être vécue "jusqu'à jusqu'à" comme on dit en Afrique.


C'est la grâce que je vous souhaite pour 2011. Amen.

samedi 25 décembre 2010

le cri de l'ivoirien

On ne s'y attendait guère. On était là à Goult, bien tranquilles, les yeux et le coeur dans la lumière de Noël, les santons, les chants, tout ça... Et puis Mr le Curé, Basile Amari, issu de Côte d'Ivoire, s'est mis à parler.
Il a une sacrée voix, le bonhomme, une voix à réveiller les caïmans de sa lagune natale, ou les paroissiens provençaux un peu trop confits dans leurs "treize desserts" et autres galoubets de Noël. Et ce fut le "cri de l'ivoirien" que nous rappelé que Noël 2010, c'est aussi là où l'on meurt.
Basile nous a priés, suppliés de nous souvenir de son pays, où règne, d'après ses dires, "la médiocrité et la bêtise." Un pays où les gens ont tout pour être heureux pourtant. Mais un pays où recommence l'Exode en Egypte et le massacre des Innocents.
Nous oublions trop souvent que Noël, c'est ça aussi, car c'est ainsi que le vivent trop de chrétiens, de Bagdad à Abidjan. Merci à Basile pour son cri, je devrais dire pour son coup de tonnerre, qui - sans enlever la joie de Noêl - met l'Enfant dans notre monde de 2010, tel qu'il est.

jeudi 9 décembre 2010

Autopsie de l'intrégrisme

Suite aux Semaines Sociales de France où cette dame, Dounia Bouzar, nous avait tracé un portrait saisissant, et courageux, de l'intégrisme islamique, je ne puis que vous recommander un petit livre épatant qu'elle a écrit en 2007: l'intégrisme, l'islam et nous (Plon). Les intégristes de tout poil, qu'ils soient musulmans, chrétiens ou hindous, s'y retrouveront facilement.
Tant il est vrai que l'intégrisme, avec des nuances bien sûr, a le même visage partout: sacra-lisation du passé, catastrophisme, affirmation maladive d'une identité, défiance sinon haine de l'autre, volonté de puissance. Pour les croyants du monde, le danger ne vient pas des autres religions, ni même de l'incroyance, mais bien de cet intégrisme générant les Al Qaïda, qu'ils soient musulmans ou autres. En accord avec Dounia Bouzar, nous disons qu'avec eux nous sommes loin, très loin du Livre, que ce soit l'Evangile ou le Coran.

Cependant, n'oublions pas qu'à l'instar des chrétiens de Bagdad, les musulmans souffrent de leurs intégristes infiniment plus que nous ne souffrons des nôtres.

La deuxième partie du livre répond à la question "Que faire?" Sous la plume de Dounia, on sent à la fois son amour pour ses jeunes coréligionnaires, et sa sévérité pour les prédicants intégristes. Très sagement, elle insiste sur la prévention, jugeant sans espoir la "récupération" des fanatiques. Mais nos politiques entendront-ils, habitués qu'ils sont à répondre aux problèmes au coup par coup?

En tous cas, voilà une bouffée d'air frais de quelqu'un qui nous parle "de l'intérieur" de l'islam.

mercredi 10 novembre 2010

écrire, c'est célébrer

Ecrire, c'est parfois crier, dénoncer, avec les risques que cela comporte. Les journalistes russes en savent quelque chose.... Ecrire, c'est aussi - parfois encore - rire un peu, avec le secret plaisir d'apporter une seconde de bonheur à d'autres.

Ecrire, c'est aussi célébrer. De ma fenêtre, je vois souvent cette dame qui sort une voiture d'handicapé du coffre, la déplie et y dépose sa vieille tante pour aller faire un brin de prière ensemble. J'ai aussi dans les yeux Florence, si patiente avec sa mère âgée outrageusement posséssive. Et Mireille, tellement attentive à son mari hémiplégique, faisant la récolte des journaux du matin pour le plaisir de son homme.... Toute cette tendresse est si discrète qu'on risque de passer à côté sans la voir. Alors écrivons-la pour la célébrer, la tendresse. Tout comme d'autres ont raconté le courage fabuleux et presqu'anonyme de ces "deuxième classe " dans la Grande Guerre.

Un jour on me dira :"Tu ne conduis plus, tu deviens dangereux." Ensuite viendra :"Laisse ton travail à un plus jeune." Mais je demande au Ciel de tout mon coeur qu'Il m'aide à ne pas m'enfermer dans ma bulle de vieux, pour garder au moins un oeil ouvert sur la beauté du monde et sur la gentillesse des gens. Plus une main pour les célébrer!

lundi 18 octobre 2010

trente mille jours


Dieu que la langue française est belle! Ce n'est pas chauvinisme que de le dire; je suppose qu'un anglais déclamant un poème de Keats, ou un italien lisant la Divine Comédie dans le texte, pourraient en dire autant de leur langue...

Je suis en train de lire "Trente mille jours", de Maurice Genevoix. Et je me régale, pas tant pour le récit que pour le pur plaisir de lire du bon français, de l'excellent français. J'avais lu avec délectation "La dernière harde" quand j'avais 17 ans; 60 ans plus tard, c'est le même émerveillement: nous avons affaire à un orfèvre en la matière.

Ne pensons pas qu'écrire soit facile! J'imagine le travail de romain que cela représenta pour Mr Genevoix: chercher les mots exacts pour décrire les chatoiements de la Loire, ou le friselis des petits d'hirondelle (qu'il nomme joliment hirondeaux) sous le toit, respecter le rythme des phrases, des expressions, tout cela ne se fait pas en un tour de main. Résultat: le texte ne parle pas, il chante. Comme une toile de Monet. Existe-t-il aussi un impressionnisme du langage?

A vrai dire, au jour d'aujourd'hui on a du mal, sinon à goûter, du moins à comprendre le style de Maurice Genevoix. Non qu'il soit passé de mode, mais nous sommes au temps du "fast": on consomme de l'info, on n'a plus le temps de déguster un vrai livre. Pire: on a un oeil sur la télé et un autre sur le journal, ce qui est pour le moins acrobatique!

Je ris de moi-même qui n'arrive pas à finir mes mots: info, télé, parce que je veux vite arriver au bout de mon propos... Heureux ami Loïc, à qui jamais vous ne ferez dire "frigo", mais "réfrigérateur".

Heureux ceux qui prennent le temps de dire, ou de vivre.

samedi 2 octobre 2010

amitié

Je regardais l'autre jour une Petite Soeur de Jésus (P. de Foucauld), évoluant dans la maison de convalescence où elle se reposait après une opération difficile. Rieuse, à l'aise avec tout le monde, attentive à l'histoire de chacun, elle diffusait autour d'elle une ambiance d'amitié légère, un je-ne-sais-quoi qui donne envie de vivre, une sorte de lumière qui éclairait le visage de chacun et de chacune en ce lieu au demeurant pas trop passionnant.


Et je me disais: communiquer sa foi, c'est ça. La foi ne se transmet pas - pas seulement - par la tête, mais par le coeur... La catéchèse est de l'ordre de l'enseignement, mais la foi est de l'ordre du témoignage. Un homme peut avoir une grosse Bible complète dans ses rayons, il a beau faire quatre ans de catéchèse, écouter trente-six homélies, toutes ces petites choses ne peuvent constituer, au mieux, qu'un éveil à la foi; si elles restent au niveau du chapeau, elles ne donnent pas la foi. Il faut que le coeur soit touché.


Le coeur est touché à partir de témoins que l'on voit vivre. Ensuite, la lecture de la Bible, les entretiens, la réflexion et la prière alimentent la foi et la rendent plus personnelle, plus éclairée. Pour le rationaliste pur et dur (si cela existe), pour le scientiste qui "ne croit que ce qu'il voit", la foi restera absconse, c'est sûr! Car avec elle, on entre dans le monde du symbole. L'amitié est de l'ordre du symbole, le coeur ne se voit qu'à travers le sourire.