Les autres dérangent, c’est connu.
Quand un autre entre dans ma vie, tout un monde imprévisible entre avec
lui ! « Je peux tout prévoir,
sauf les autres », dit Marion Muller-Colard. Oui, les autres
dérangent ; rien que par leur présence d’abord, mais aussi parce qu’ils
sont différents. Ils m’obligent à bouger, à leur faire une place. En clair, si
j’accepte de les laisser entrer, je vais devoir quitter mes pantoufles pour
devenir nomade avec eux.
A la fin de ces réflexions, je me demande,
je nous demande : comment
suivre Jésus qui bouge, jésus qui danse, Jésus nomade ??? Comment
prolonger les prophètes ? Est-ce réservé aux géants tels l’abbé Pierre ou
Mère Térésa ?
Il n’y a qu’un moyen, à la fois
simple comme bonjour et ardu comme les pavés du Paris-Roubaix, c’est : aimer…
Regardons la parabole du bon samaritain. Ce n’est pas pour rien que Jésus a mis
en scène un non-juif, un type pire qu’un « goy » pour les
juifs : un samaritain ! N’oublions pas que Jésus lui-même a été
traité de samaritain (Jn 8/48), une insulte rappelant les montagnards du Nord-Cameroun
pour qui la pire injure est de se voir traité de « forgeron ». Alors
ce samaritain ? Avons-nous mesuré l’effort qu’a dû faire cet homme pour
sortir du passage clouté du qu’en dira-t-on ? Il a aidé un juif, pire, un
homme en sang, autrement dit impur.
Au fond, aimer c’est sortir de soi,
c’est risquer le vent du large… Ce cultivateur du Midi qui a hébergé des
migrants, qui l’en a obligé ? Il a senti un appel puissant, un appel
intérieur. Un appel à ouvrir sa maison, son terrain, son cœur, pour se
retrouver errant avec les errants. Que je sache, les décisions du tribunal ne
l’ont pas fait partir en zig-zag ; il est resté droit dans ses bottes, tel
que rien ni personne ne pourra l’empêcher de récidiver.
Les nomades sont divers :
certains le sont par tradition, d’autres pour sauver leur peau. Et puis il y a
ceux qui, à l’instar de Dieu, acceptent d’être dérangés. Ceux-là entreprennent
un voyage sans fin, car on n’a jamais fini d’aimer.
Il y a un autre voyage, plus étrange. Celui qui me fait bouger « à
l’intérieur », en cherchant Dieu. Rainer Maria Rilke appelle ça « écouter au-dedans »… Quête
incessante, recherche merveilleusement chantée dans le Cantique des Cantiques.
C’est la recherche très personnelle, très secrète du Dieu nomade… Car Dieu est
toujours plus loin, au-delà de notre cœur, libre. C’est ce voyage intérieur
qu’entreprit St Augustin, et après lui Al Halladj, Thérèse d’Avila… Comme
l’écrit Gilles Rebêche, diacre : « C’est en marchant qu’on trouve le chemin ».

Concluons par le commencement de ces réflexions : les
chercheurs de Dieu sont animés par l’Esprit qui planait sur les eaux au début
du monde. Ils sont fragiles, ces chercheurs, pas sûrs du lendemain, comme tous
les nomades. Mais ils savent que l’Esprit de Dieu les prend pour les entraîner
dans sa danse.